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le diamant. C’était une femme d’un courage supérieur à son sexe ; elle surmonta promptement la première sensation d’effroi ; son esprit paraissait bien plus préoccupé de l’état de sa fille que de la conspiration de ces gueux de païens. « Vous savez, me dit milady, combien Rachel est peu semblable aux autres filles de son âge ; mais jamais, depuis que je la connais, je ne l’ai vue si bizarre et si renfermée qu’aujourd’hui ; la perte de son bijou semble lui avoir troublé le cerveau. Qui eût jamais pu croire qu’en si peu de temps ce misérable diamant aurait pris un pareil empire sur elle ? »

Oui, c’était étrange ; car pour ce qui est des bijoux et des frivolités en général, miss Rachel était loin d’en être aussi affolée que bien d’autres jeunes personnes de son âge. Et pourtant elle était là, inconsolable et enfermée dans sa chambre à coucher. Soyons justes, toutefois : elle n’était pas la seule qui ne fût pas dans son état habituel.

M. Godfrey, par exemple, né pour être un consolateur universel, était tout désorienté.

Comme il n’était pas libre d’essayer sur miss Rachel ses moyens de persuasion philanthropique, et que personne ne lui tenait compagnie, il parcourait la maison et les alentours, en proie à une pénible indécision. Son esprit flottait entre deux partis à prendre à la suite du malheur qui nous était arrivé. Devait-il délivrer la famille de sa présence comme invité ? Ou devait-il plutôt rester et lui offrir ses humbles services dans le cas où ils seraient de quelque utilité ? Il jugea en fin de compte que ce dernier parti était peut-être le plus naturel et le plus convenable dans la triste situation où nous nous trouvions. Ce sont les circonstances qui permettent d’apprécier de quel métal un homme est fait. Soumis à cette épreuve, le caractère de M. Godfrey se montra moins bien trempé que je ne l’aurais supposé. Quant aux servantes, à l’exception de Rosanna Spearman qui se tenait à part, elles se mirent à chuchoter ensemble dans tous les coins, et à promener partout des regards défiants, comme le fait toute la gent féminine d’une maison, dès qu’il survient quelque chose d’insolite dans un intérieur.

Je conviens que je fus moi-même agité et de méchante humeur tout le jour ; la maudite Pierre de Lune nous avait tous mis sens dessus dessous.