Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/142

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Je me retournai, et j’aperçus alors le sergent Cuff.

« Pourquoi pas tout de suite ? demanda M. Franklin.

— Parce que, monsieur, si vous prévenez lady Verinder, elle en parlera à sa fille.

— Eh bien, quand elle le ferait, quel mal y aurait-il à cela ? »

M. Franklin prononça ces mots avec une chaleur excessive et un emportement subit, comme si le sergent venait de l’offenser mortellement.

« Croyez-vous prudent, monsieur, reprit le sergent avec calme, de me poser cette question ici et en ce moment ? »

Il y eut un silence ; puis M. Franklin s’avança vers le sergent, et les deux hommes se regardèrent face à face. M. Franklin reprit la parole le premier, d’une voix aussi contenue qu’il l’avait élevée tout à l’heure.

« Je suppose, monsieur Cuff, que vous savez jusqu’à quel point vous abordez un sujet délicat ?

— Ce ne serait pas la première fois sur mille peut-être que je marcherais sur un terrain aussi délicat, répondit l’autre, toujours impassible.

— Je dois entendre alors que vous me défendez de parler à ma tante de ce qui se passe ?

— Vous avez à entendre, monsieur, je vous prie, que je refuse de continuer à m’occuper de l’affaire, si vous parlez à lady Verinder ou à qui que ce soit, de l’état de l’affaire sans que je vous y aie autorisé. »

Il ne restait plus rien à dire, et M. Franklin sentit qu’il n’avait qu’à se soumettre.

Il se détourna avec colère et nous quitta.

J’avais assisté à ce colloque, en proie à une vive perplexité, sans savoir ni qui on soupçonnait ni ce qui allait s’ensuivre. Au milieu de mon trouble, deux points pourtant ressortaient clairement pour mon esprit. Le premier, c’est que ma jeune maîtresse était, d’une façon incompréhensible, au fond des phrases aigres qui venaient de s’échanger. Le second, que les interlocuteurs se comprenaient parfaitement, sans qu’aucune explication préalable fût nécessaire entre eux.

« Monsieur Betteredge, me dit le sergent, vous avez agi sottement en mon absence, car vous avez voulu faire un peu de police pour votre compte particulier. À l’avenir, vous vou-