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Il savait aussi bien que moi qu’il n’avait maintenant aucune aide à espérer de ma part depuis que j’avais découvert de quel côté ses soupçons s’étaient portés.

Dans ces circonstances, son caractère le portait à s’aider lui-même et à le faire par des moyens tortueux.

Toutefois, comme je n’étais pas absolument sûr d’avoir vu le sergent, et que je ne voulais pas amener inutilement un scandale (il n’y en avait eu, hélas ! que trop déjà), je dis à M. Franklin que j’avais cru entendre un des chiens pénétrer dans la maison ; puis je le priai de me donner quelques détails sur ce qui s’était passé entre Rosanna et lui.

« Passiez-vous par le hall, monsieur ? lui demandai-je, et votre rencontre était-elle accidentelle lorsqu’elle vous adressa la parole ? »

M. Franklin montra le billard.

« Je m’amusais à pousser des billes, dit-il, et j’essayais de chasser de ma tête cette misérable aventure du diamant. Le hasard me fit lever les yeux, et quelle ne fut pas ma surprise en voyant Rosanna Spearman tout debout devant moi comme un spectre ! La façon silencieuse dont elle était arrêtée là, semblait si étrange, qu’au premier moment je ne sus que dire. Voyant une expression d’anxiété peinte sur sa figure, je lui demandai si elle désirait me parler. Elle répondit : « Oui, si je l’osais. » Comme je connaissais les soupçons dirigés contre elle, je ne pus attacher qu’un seul sens à un pareil langage, et j’avoue que je me sentis fort gêné. Je ne désirais nullement provoquer les confidences de cette fille ; d’autre part, dans les difficultés qui nous environnent, je n’avais guère non plus le droit de refuser cette ouverture, si elle était dans l’intention de me la faire. Ma situation était assez fausse, et j’en sortis maladroitement, en lui disant : « Je ne vous comprends pas bien ; désirez-vous que je fasse quelque chose pour vous ? » Remarquez, Betteredge, que je ne lui parlais pas avec dureté ! ce n’est pas de la faute de cette fille si elle est si laide, et tout en lui répondant, je m’en rendais compte. La queue de billard était encore entre mes mains, et je continuais à heurter les billes pour me donner une contenance. Je ne réussis par là qu’à gâter la position et je crains de l’avoir mortifiée sans le vouloir.

« Elle se détourna soudain, et je l’entendis murmurer à voix