Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/206

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« Pourquoi n’y pas jeter un coup d’œil ? disait-il, comme si je m’y fusse opposé ! Pourquoi diable perdre patience, Betteredge, quand la patience seule nous fera parvenir à la vérité ? Ne m’interrompez donc pas. La conduite de Rachel est très-facile à comprendre, si nous lui donnons le bénéfice du point de vue objectif d’abord, du subjectif ensuite, et de l’objectif-subjectif pour conclure. Que savons-nous ? Que la perte du diamant a eu lieu jeudi matin, et l’a jetée dans un état d’excitation nerveuse, dont elle n’est pas encore remise.

« Vous ne nierez pas le point de vue objectif jusque-là ! Très-bien, alors cessez de m’interrompre. L’état nerveux admis, comment espérer qu’elle eût agi différemment ? En argumentant de la sorte, c’est-à-dire en induisant des causes intérieures les effets extérieurs, où arrivons-nous ? Nous arrivons au point de vue subjectif. Je vous défie de combattre le subjectif. Très-bien ; alors que s’ensuit-il ? Mon Dieu ! une chose bien simple, l’aperçu objectif-subjectif ! Rachel, à le bien prendre, n’est plus Rachel, mais une personne autre. Est-ce que je m’inquiète d’être maltraité par une autre personne ? Vous êtes assez peu raisonnable, Betteredge, cependant c’est une chose dont il vous sera difficile de m’accuser.

« Enfin à quoi aboutissent mes considérations ? À me rendre parfaitement heureux et satisfait, malgré votre maudite étroitesse d’esprit anglaise et vos préjugés. Où est mon xérès ? »

Une telle confusion s’était faite dans mon cerveau que je n’étais pas bien sûr de n’avoir pas sur mes épaules la tête de M. Franklin au lieu de la mienne. Sous cette déplorable influence, je me décidai pourtant à faire trois choses qui durent rentrer dans l’ordre objectif. Je donnai à M. Franklin son xérès ; je me retirai chez moi, et je demandai des consolations à la pipe de tabac la plus réconfortante que j’aie souvenir d’avoir fumée.

N’allez pas croire toutefois que je fus quitte à si bon marché de M. Franklin. Pendant qu’il continuait son manège d’allées et venues du salon au hall, il fut attiré du côté des offices par l’odeur du tabac. Alors il se rappela soudain qu’il avait été assez simple pour renoncer à fumer afin de complaire à