Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a bien servi la vengeance du colonel, et par des moyens qu’il ne prévoyait guère ! »

Là-dessus il me serra la main et se dirigea vers la voiture.

Je le suivis ; il était triste de lui voir quitter ainsi la vieille demeure où les années les plus heureuses de sa vie s’étaient écoulées. Pénélope, toute bouleversée des événements qui se succédaient, vint lui dire adieu en pleurant. M. Franklin l’embrassa, et je lui fis signe qu’il avait mon assentiment. Les autres servantes de la maison se montraient, dans tous les coins, car il était un de ces hommes qui ont le don d’être aimés de toutes les femmes. J’arrêtai la chaise au dernier moment pour le prier de nous donner de ses nouvelles par une lettre ; il ne paraissait pas m’entendre, et promenait ses regards tout autour de lui comme pour dire un dernier « au revoir » à la maison et aux alentours.

« Faites-nous savoir où vous irez, monsieur, » répétai-je, m’appuyant sur la voiture et tâchant de pénétrer ainsi un peu ses projets.

M. Franklin enfonça brusquement son chapeau sur ses yeux.

« Où j’irai, dit-il comme un écho ; j’irai au diable ! »

Le poney fit un bond comme s’il avait horreur de ce langage peu chrétien.

« Dieu vous bénisse, monsieur, partout où vous serez, » fut tout ce que j’eus le temps de dire avant qu’il disparût.

Un aimable garçon, malgré ses défauts et ses excentricités, un aimable gentleman ! il nous laissa un grand vide en quittant la maison de milady !

Tout nous sembla triste et désert lorsque la nuit vint clore cette longue soirée d’été.

Je ne soutins mon moral qu’à l’aide de ma pipe et de Robinson Crusoé ; les femmes, à l’exception de Pénélope, passèrent leur soirée à discuter le suicide de Rosanna ; elles étaient toutes entêtées à maintenir qu’elle avait volé le joyau, et que la crainte d’être découverte l’avait poussée à se détruire. Naturellement, ma fille garda dans son for intérieur l’opinion qu’elle s’était formée. Chose bizarre, la version de Pénélope et la justification de miss Rachel étaient contredites par les mêmes faits. Si l’on admettait le point de vue romanesque de ma fille, on ne pouvait s’expliquer ni le voyage secret de Rosanna à Frizinghall, ni l’affaire des