Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/262

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passé ici aujourd’hui, le mot de l’énigme reste plus introuvable que jamais. L’innocence de Rachel, sa mère et moi en sommes convaincus, est hors de doute ; celle de M. Ablewhite l’est également, puisque Rachel en répond, et l’innocence de Franklin se prouve d’elle-même ; d’un côté, nous sommes certains de ces trois points ; de l’autre, nous sommes également sûrs que quelqu’un a apporté le diamant à Londres, et que M. Luker ou son banquier en est actuellement le détenteur. Que servent mon expérience et celle d’autrui dans un dilemme pareil ? Il vous déconcerte, il confond tout le monde ! »

Non, pas tout le monde ; le sergent Cuff lui ne s’était pas laissé déconcerter ; j’allais le rappeler à M. Bruff avec tous les ménagements nécessaires, et en protestant bien que je ne songeais nullement à entacher la réputation de Rachel, lorsque le valet de pied vint nous prévenir que le docteur était parti et que ma tante nous attendait. Cela coupa court à la discussion. M. Bruff réunit ses papiers : il avait l’air un peu fatigué de ses efforts de conversation ; je repris mon sac de précieuses brochures, et il me semblait que j’aurais pu parler encore pendant des heures. Nous nous dirigeâmes en silence vers la chambre de lady Verinder.

Permettez-moi d’ajouter ici qu’en rapportant les choses telles qu’elles se sont passées entre l’avoué et moi, j’ai eu un but en vue. Aux termes de mes instructions, la part de narration qui me revient dans la scandaleuse histoire de la Pierre de Lune m’oblige non-seulement à dire dans quelle voie étaient entrés les soupçons, mais encore à nommer les personnes que ces soupçons atteignaient, à l’époque où l’on croyait que le diamant était à Londres.

Un compte-rendu fidèle de ma conversation avec M. Bruff m’a paru réunir ces conditions essentielles ; il possède en même temps l’avantage de me forcer à un sacrifice d’amour-propre personnel et coupable. J’ai dû avouer que ma nature pécheresse avait pris le dessus ; en faisant cet humiliant aveu, je remporte une victoire sur ma nature déchue, l’équilibre moral se rétablit, mon milieu spirituel s’éclaircit ; mes chers amis ; je respire, nous pouvons poursuivre.