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placé sur une table sous la cage ; sur-le-champ je mis un livre au milieu du séneçon. Dans le salon j’eus l’occasion de loger plus convenablement le précieux contenu de mon sac. Les morceaux de musique que ma tante aimait le plus étaient amoncelés sur le piano. Je glissai deux de mes brochures au milieu des partitions. J’en déposai une autre dans le salon du fond sous une broderie inachevée et que je savais être l’ouvrage de lady Verinder. Une petite pièce ouvrait sur le second salon et n’en était séparée que par des portières ; le vieil éventail de ma tante se voyait sur la cheminée ; j’ouvris mon neuvième volume à un endroit tout à fait bien choisi, et j’y posai l’éventail en guise de signet.

Je me demandai ensuite si je risquerais de monter à l’étage des chambres à coucher, et de me faire peut-être insulter par la personne aux rubans extravagants, si elle me surprenait dans ces parages. Mais qu’était-ce que cela pour une chrétienne ! Je montai, préparée à tout. Tout y était silencieux et solitaire : les domestiques prenaient sans doute le thé à ce moment-là. La chambre de ma tante était sur le devant, et l’on y voyait, suspendue au mur en face du lit, la miniature de mon excellent oncle feu sir John ; il semblait me sourire et me dire :

« Drusilla, déposez encore un livre. »

Des tables entouraient le lit, couvertes d’objets que ma tante, qui dormait mal, croyait lui être nécessaires. Je plaçai un livre sous la boîte à allumettes et un autre sous une boîte de pastilles de chocolat ; ainsi, qu’elle eût besoin de lumière ou d’une nourriture légère, elle rencontrerait sous ses yeux ou sous sa main une pieuse lecture dont l’éloquence muette lui dirait :

« Essayez de moi, essayez de moi. »

Il ne restait plus qu’un seul livre au fond de mon sac, et une seule pièce à explorer. C’était la salle de bain, sur laquelle ouvrait la chambre à coucher. Je m’y hasardai, et la sainte voix intérieure qui ne trompe jamais me cria :

« Vous l’aurez suivie partout, Drusilla ; qu’elle vous rencontre encore ici, et votre œuvre sera achevée. »

Je remarquai une robe de chambre jetée sur la chaise ; elle avait une poche, et dans cette poche je mis mon dernier livre. Les paroles seraient impuissantes à rendre l’exquise