Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/39

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me permettez de le signaler) était de ne jamais suivre une idée ; elle semblait plus tenir de la mouche que de la femme, et ne pouvait se fixer un seul instant.

— Comme ce caractère m’eût convenu ! repartit M. Franklin ; je ne puis non plus m’arrêter sur quelque point que ce soit ! Betteredge, vos facultés sont plus actives que jamais. Aussi votre fille me disait-elle, lorsque je lui demandais des détails sur les jongleurs : « Mon père vous les donnera, monsieur, car il raconte admirablement, et sa mémoire est surprenante pour son âge. » Ce sont les propres paroles de Pénélope, qui rougissait à ravir. Mon respect pour vous ne m’a pas empêché de…, enfin, passons ; je l’ai connue enfant, et elle ne s’en trouvera pas plus mal pour cela. Voyons, redevenons sérieux ; que faisaient ces Indiens ? »

Je me sentais assez mécontent de ma fille, non parce qu’elle s’était laissée embrasser par M. Franklin, ce n’était pas là une affaire, rien de plus naturel, mais je trouvais ridicule qu’elle se fût avisée de me mettre en demeure de raconter moi-même sa sotte histoire. Je ne pouvais maintenant y échapper. La gaieté de M. Franklin s’éteignit à mesure que mon récit se déroulait. Il fronçait les sourcils et tourmentait ses moustaches. Lorsque j’eus fini, il me fit répéter deux des questions que le chef des jongleurs avait posées au jeune garçon, comme s’il eût voulu les graver dans sa mémoire : « Est-ce sur cette route, et sur aucune autre, que le gentleman anglais doit voyager aujourd’hui ? Le gentleman l’a-t-il sur lui ? »

« Je soupçonne, poursuivit M. Franklin, tirant de sa poche un petit paquet cacheté, que l’a-t-il se rapporte à ceci, et ceci, Betteredge, signifie le fameux diamant de mon oncle Herncastle.

— Grand Dieu ! monsieur, m’écriai-je, comment vîntes-vous à être chargé du diamant du méchant colonel ?

— Par une clause de son testament, le méchant colonel a légué son diamant comme cadeau de jour de naissance à ma cousine Rachel, répondit M. Franklin, et mon père, en qualité d’exécuteur testamentaire du colonel, m’a donné la mission de l’apporter ici. »

Si la mer, qui alors caressait doucement les sables mouvants, se fût changée en terre ferme sous mes yeux, je ne