Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 1.djvu/45

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moi avec soin, Betteredge, et comptez sur vos doigts : cette occupation vous aidera, dit M. Franklin, avec une certaine satisfaction de me montrer la justesse de son esprit, ce qui me rappela tout à coup sa nature d’enfant.

Première question : Un complot a-t-il été formé dans l’Inde contre le diamant du colonel ? Seconde question : Les conjurés ont-ils suivi le diamant en Angleterre ? Troisième question : Le colonel a-t-il su que les conjurés suivaient le diamant ; et, en ce cas, ne l’a-t-il pas légué comme une source de trouble et de danger pour sa sœur, par l’intermédiaire innocent de sa fille ? Voilà où je me proposais d’en arriver, Betteredge ; je ne veux pourtant pas vous effrayer. »

Il était charmant de dire cela, lorsqu’il m’avait parfaitement alarmé.

Ainsi, à l’en croire, notre paisible demeure britannique, envahie soudainement par ce diabolique diamant indien, allait devenir le centre des intrigues d’une bande de coquins actifs, vivants et déchaînés par la vengeance d’un mort ! Voilà quelle serait notre situation, telle que les derniers mots de M. Franklin venaient de me la révéler.

A-t-on jamais entendu parler de rien de pareil, et cela en plein XIXe siècle, dans un temps de progrès, et au milieu d’un pays comblé des bienfaits de la législation anglaise !

Non, personne n’a jamais entendu parler de cela, et personne par conséquent n’y croira. Je n’en continue pas moins mon histoire malgré tout.

Lorsque vous éprouvez une émotion subite du genre de celle qui s’était emparée de moi, neuf fois sur dix, c’est à l’estomac que vous la ressentez.

Il s’ensuit que votre attention faiblit et que vous ne tenez plus en place. Je m’agitais donc, assis sur le sable sans mot dire. M. Franklin s’aperçut que je luttais contre le trouble de mon estomac ou de mon esprit (ce qui revient absolument au même) et, s’arrêtant juste au moment où il allait reprendre son histoire, il me dit brusquement :

« Qu’avez-vous donc ? »

Ce qui me manquait et ce que je ne pouvais vraiment lui dire, c’était une bouffée de ma pipe et le secours de Robinson Crusoé.