Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/107

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traire au règlement établi par lui, sans compter que je m’y trouvais seule avec vous. Je n’eus que le temps de me sauver avant de m’exposer à en recevoir l’ordre.

« J’étais contrariée, désappointée, mais je conservais néanmoins de l’espoir, car la glace était rompue entre nous, et je me promis qu’une autre fois je m’arrangerais de façon que M. Betteredge ne vînt pas me surprendre.

« Lorsque je retournai au hall des domestiques, la cloche de notre dîner sonnait. Déjà cette heure-là ! et rien de ce qu’il fallait pour refaire le vêtement n’était même acheté ! Il ne me restait qu’une chance de m’en tirer : c’était de me dire malade ; je pus ainsi m’assurer la libre disposition de mon temps jusqu’à l’heure du thé. Il est inutile de vous rappeler ici ce que je faisais pendant qu’on me croyait alitée dans ma chambre, et à quoi je passai ma nuit, après avoir feint d’être plus souffrante au moment du thé. À défaut d’autre découverte, le sergent Cuff a su découvrir cela, et je devine comment. Bien que j’eusse mon voile baissé, je fus reconnue dans la boutique du marchand de toile à Frizinghall. Il y avait une glace devant moi au comptoir ; pendant que je choisissais mes achats, je vis dans cette glace qu’un des commis faisait remarquer à son camarade mon épaule contrefaite. La nuit, tandis que je m’étais enfermée à clé dans ma chambre pour vaquer à ma besogne clandestine, j’entendis aussi le chuchotement des femmes de la maison qui m’espionnaient à ma porte.

« Tout cela importe peu ; mais le vendredi dès l’aube, avant que le sergent entrât dans la maison, la nouvelle robe de nuit était faite, lavée, repassée, marquée et pliée dans votre tiroir comme le faisait la lingère ; il n’y avait plus lieu de rien craindre au cas où on examinerait les effets de chacun ; on ne pouvait même s’étonner que la robe de nuit fût neuve, puisque tout votre linge avait été renouvelé à votre retour en Angleterre.

« Le sergent Cuff arriva ensuite, et la conclusion qu’il tira, lui, du dégât fait à la peinture me frappa beaucoup.

« Je vous croyais coupable plus parce que je désirais vous trouver tel que par toute autre raison ; et maintenant le sergent Cuff, quoique par des motifs très-différents, se rencontrait avec moi pour affirmer que le possesseur du vête-