Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

témoignage de cette robe de nuit, il y a quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent pour que ce soit Rosanna Spearman qui la lui ait montrée. Voici sa lettre : elle avoue qu’elle était jalouse de Rachel, qu’elle substituait ses roses à celles que vous donnait votre cousine, qu’elle entrevoyait une lueur d’espoir pour sa passion dans le cas où une rupture s’élèverait entre vous et Rachel. Sans m’arrêter à la question de savoir qui a pris la Pierre de Lune (et pour arriver à ses fins, Rosanna était femme à prendre cinquante diamants !), je maintiens que la disparition de la Pierre donnait à cette voleuse convertie et affolée de vous une occasion de vous brouiller à jamais avec Rachel ; souvenez-vous qu’elle n’était pas résolue alors à se tuer, et il est parfaitement d’accord avec sa situation et son caractère, d’avoir saisi l’occasion lorsque celle-ci se présentait à elle. Que dites-vous à votre tour ?

— Qu’un soupçon de ce genre m’est venu en commençant à lire sa lettre.

— Justement ! Et lorsque votre lecture a été achevée, vous vous êtes mis à plaindre cette pauvre femme et n’avez plus eu le courage de la suspecter ; cela vous fait honneur, mon cher ami, grand honneur !

— Mais enfin supposons qu’il soit clairement prouvé que nul autre que moi ne portait cette robe de nuit ! Que faire ?

— Je ne vois pas comment ce fait pourra être prouvé, dit M. Bruff ; mais en admettant qu’il le soit, alors il vous sera difficile d’établir votre innocence ; n’allons pas si loin pour le moment. Attendons de voir si Rachel ne vous a pas accusé sur le seul témoignage de ce vêtement.

— Grand Dieu ! m’écriai-je, comme il vous coûte peu d’admettre que Rachel ait pu m’accuser de pareille infamie ! Et de quel droit me soupçonne-t-elle, moi, d’être un voleur ?

— Votre question est pleine de sens ; et, quoique posée avec emportement, elle n’en mérite pas moins considération. Ce qui vous déroute m’intrigue également ; voyons, rappelez vos souvenirs, et répondez à ceci. S’est-il passé, pendant votre séjour chez lady Verinder, quelque incident, si mince fût-il, qui ait été de nature à ébranler la confiance de Rachel non en votre honneur, bien entendu, mais en vos principes en général ? »