Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/13

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voir et pour bien entendre, je ne puis l’attribuer qu’à une attaque de nerfs comprimée ; il est reconnu du reste par tous les médecins que, dans les attaques nerveuses qu’on arrive à surmonter, il faut absolument tenir quelque chose serré dans les mains.

« Oui, dit-il avec tout le charme évangélique qu’il possédait dans la voix et les manières, vous êtes une noble créature ! La femme qui dit vrai pour l’amour de la vérité, la femme qui consent à sacrifier son orgueil plutôt que de sacrifier l’honnête homme qui l’adore, cette femme est un trésor inestimable ; et lorsqu’elle se marie, si son époux parvient à lui inspirer de l’estime et de l’affection, il reçoit en elle une compagne qui embellira toute son existence. Vous parlez, ma chérie, de la place que vous avez dans mon opinion ! Jugez de celle que je vous garde, lorsque je vous supplie à genoux de me laisser le soin de guérir et de consoler votre pauvre cœur blessé ! Rachel ! voulez-vous me rendre bien fier, bien heureux, en acceptant de devenir ma femme ? »

Cette fois, j’étais résolue à me boucher les oreilles, mais Rachel m’encouragea à les conserver bien ouvertes, en lui répliquant les premiers mots sensés qu’elle eût prononcés :

« Godfrey, dit-elle, en vérité il faut que vous soyez fou !

— Non, très-chère, je n’ai jamais parlé plus raisonnablement au point de vue de vos intérêts et des miens. Devez-vous sacrifier votre part de bonheur en ce monde à un homme qui n’a jamais connu l’attachement que vous lui portez et que vous êtes résolue à ne point revoir ? Vous devez, ce me semble, vous efforcer d’oublier cette affection malheureuse. Et cet oubli, vous ne le trouverez pas dans l’existence que vous menez actuellement. Vous avez essayé d’une vie de dissipation et déjà elle vous lasse ; réfugiez-vous dans un cercle d’intérêts plus élevés que ceux qui composent ce triste monde. Un mari qui vous aimera et vous honorera, un intérieur dont les douces exigences et les paisibles devoirs prendront peu à peu de l’empire sur vous, voilà, Rachel, la consolation à laquelle il faut recourir ! Je ne demande pas votre amour, je me contenterai de votre affection et de votre estime. Reposez-vous hardiment du reste sur le dévouement de votre époux et sur le temps qui guérit les blessures même aussi profondes que la vôtre. »