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CHAPITRE IX


La gentille servante du docteur attendait, tenant la porte de la rue tout ouverte pour moi. Le jour entrait donc à flots brillants dans l’antichambre et frappait en plein sur la figure de l’aide du docteur.

Betteredge avait raison : à juger des choses comme le vulgaire en juge, l’extérieur d’Ezra Jennings ne prévenait pas en sa faveur. Son teint de bohémien, ses joues décharnées, les os saillants de son visage, ses yeux vitreux, sa chevelure mi-partie noire et blanche, cette tête de vieillard sur un corps de jeune homme, enfin tout cet ensemble physique laissait à première vue dans l’esprit d’un étranger une impression désagréable.

Je m’en rendais très-bien compte, et pourtant il était indubitable que j’éprouvais pour Ezra Jennings une sympathie dont je ne pouvais me défendre. La politesse m’ordonnait simplement de répondre à sa question ; après quoi, je n’avais plus qu’à poursuivre mon chemin. Mais l’intérêt que je ressentais pour Ezra Jennings me cloua à ma place, et je voulus lui fournir le moyen de me parler en particulier, ce dont il guettait évidemment l’occasion.

« Vous dirigez-vous du même côté que moi, monsieur Jennings ? lui dis-je, voyant qu’il tenait son chapeau à la main ; je vais chez ma tante, Mrs Ablewhite. »

Il me répondit qu’il avait un malade à voir de ce côté et qu’il pouvait m’accompagner.

Nous partîmes ensemble : j’observai que la jolie servante, qui me gratifiait de ses plus aimables sourires en échange du peu de mots que je lui dis en sortant, reçut les modestes recommandations de Jennings au sujet de l’heure de son retour avec une moue bien marquée, et en affectant de détourner les yeux ; le pauvre garçon n’était pas en faveur dans