Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/185

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entré, amener votre main à s’approcher des tiroirs du meuble et à y trouver celui qui contenait le diamant. Sous l’empire de l’ivresse ou de l’hallucination de l’opium vous avez dû faire cela. Après cette période d’action, l’effet narcotique se sera produit, vous serez devenu somnolent, puis inerte, et enfin l’anéantissement vous aura envahi ; un peu plus tard, vous serez tombé dans un profond sommeil. Le matin venu, l’effet de l’opium dissipé, vous avez pu vous éveiller aussi ignorant des événements de la nuit que si vous aviez vécu aux antipodes. Ai-je réussi à m’expliquer clairement ?

— Vous avez été si net que je vais vous demander la permission de pousser mes questions encore un peu plus loin. Vous me démontrez comment j’ai dû pénétrer dans le boudoir et y prendre le diamant. Mais miss Verinder m’a vu repartir, emportant la Pierre de Lune dans ma main ! Pouvez-vous suivre mes mouvements depuis cet instant ? Soupçonnez-vous ce que j’ai fait ensuite ?

— J’allais y venir, me répondit-il ; je me demande si l’épreuve destinée à prouver votre innocence ne sera pas également un moyen de retrouver le diamant perdu ? Lorsque vous sortîtes du boudoir, le joyau dans votre main, il est très-probable que vous êtes rentré dans votre chambre…

— Oui, et après cela ?

— Il est possible, monsieur Blake (je ne hasarde rien de plus), que votre pensée dominante de mettre le diamant en sûreté vous ait conduit, par une conséquence naturelle, à l’idée de cacher le joyau, et que vous l’ayez dissimulé dans quelque endroit de votre chambre. Rappelez-vous la bizarre histoire de l’Irlandais que je vous citais, vous pourriez aussi, sous l’influence d’une seconde dose d’opium, vous souvenir de l’endroit où vous auriez caché l’objet dans votre première ivresse narcotique. »

Je dus à mon tour éclairer Ezra Jennings. Je l’arrêtai donc.

« Votre hypothèse est inadmissible, lui dis-je. Le diamant est en ce moment à Londres. »

Il me regarda avec des yeux où se peignait un vif étonnement.

« À Londres ? répéta-t-il ; comment a-t-il pu venir de la maison de lady Verinder jusqu’à Londres ?