Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/209

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Je crois très-probable que M. Candy en a versé plus qu’il ne le supposait, surtout lorsque je me souviens du plaisir qu’il éprouve à savourer un bon dîner, et que ceci se passait le soir d’une réunion de fête ! En tous cas, j’irai jusqu’à quarante gouttes, d’autant plus que dans cette occasion-ci M. Blake sait qu’il va être soumis à ce traitement, ce qui physiologiquement le prédispose à être malgré lui rebelle jusqu’à un certain point à l’action du laudanum. À mon avis, une quantité plus forte est donc absolument nécessaire cette fois, si l’on veut obtenir les effets dus l’an passé à une dose moindre.

Dix heures. — Les témoins sont arrivés depuis environ une heure.

Un peu avant neuf heures, j’ai engagé M. Blake à se retirer dans sa chambre à coucher, sous prétexte qu’il ferait bien d’y jeter un coup d’œil d’inspection, afin de s’assurer qu’aucun détail d’ameublement n’avait été omis. J’étais convenu avec Betteredge que la chambre destinée à M. Bruff serait voisine de celle de M. Blake, et qu’un coup frappé à la porte m’instruirait de l’arrivée de l’avoué. La pendule du hall venait de sonner neuf heures, lorsque j’entendis frapper, et, sortant aussitôt, je rencontrai M. Bruff dans le corridor.

Comme toujours, mon extérieur m’a desservi auprès de M. Bruff. À ma vue, ses yeux ont exprimé de la méfiance ; mais habitué à rencontrer cette impression chez les étrangers, je n’ai pas hésité un instant à m’acquitter de ma mission avant que l’avoué gagnât la chambre de M. Blake.

« Vous avez dû voyager jusqu’ici avec Mrs Merridew et miss Verinder ? lui ai-je dit.

— Oui, monsieur, a fait M. Bruff de son ton le plus sec.

— Miss Verinder vous aura sans doute appris que je désirais laisser ignorer à M. Blake la présence de ces deux dames jusqu’à ce qu’il eût subi l’épreuve de ce soir ?

« Je sais, monsieur, que je dois me taire ! a répondu aigrement M. Bruff. Habitué comme je le suis à garder le silence sur les folies humaines en général, j’y suis d’autant plus disposé dans l’occasion actuelle. Êtes-vous satisfait ainsi ? »

Je l’ai salué, et l’ai laissé aux soins de Betteredge. Ce dernier m’a jeté en partant un coup d’œil qui signifiait clairement :