Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/258

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de sa porte entr’ouverte. Il fut donc assuré qu’elle aussi vous avait vu prendre le diamant. Avant de quitter le salon, vous eûtes un moment d’hésitation. M. Godfrey prit avantage de cette incertitude pour regagner promptement sa chambre avant que vous pussiez le découvrir. Il y était à peine arrivé que vous le rejoigniez, et il supposa que vous l’aviez vu passer par la porte de communication. En tout cas, vous l’appelâtes d’une voix étrange et somnolente.

Il revint vers vous, vous levâtes sur lui des yeux appesantis par le sommeil. Vous mîtes le diamant dans sa main en lui disant :

« Reportez-le, Godfrey, à la banque de votre père : là, il sera en sûreté ; ici, il est trop exposé. »

Vous vous retournâtes ensuite d’un air de souffrance et, après avoir passé votre robe de chambre, vous vous assîtes dans un des fauteuils de votre chambre, en murmurant :

« Je ne puis le porter moi-même à la banque, ma tête semble être de plomb, mes jambes fléchissent sous moi. »

Votre tête tomba sur le dos du fauteuil, — vous poussâtes un profond soupir, et au bout d’une minute vous étiez endormi.

M. Godfrey Ablewhite rentra dans sa chambre avec le diamant. Il prétend n’avoir pris aucun parti à ce moment et s’être borné à attendre, afin de voir ce qui surviendrait dans la matinée.

Le matin venu, votre attitude et votre langage furent ceux d’un homme absolument ignorant de ce que vous aviez fait ou dit dans la nuit. Miss Verinder témoigna en même temps qu’elle ne vous accuserait pas, par convenance et par pitié. Donc, si M. Godfrey voulait s’approprier la Pierre, il était assuré de l’impunité. Le diamant lui offrait le salut à la place d’une ruine inévitable : son choix fut fait ; il mit le diamant dans sa poche.

V

Telle est l’histoire que, poussé par la nécessité, votre cousin raconta à M. Luker.

M. Luker la tint pour vraie et d’autant plus facilement que,