Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/30

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Londres plus tôt que je ne l’espérais, ce qui m’a fait arriver de meilleure heure ici. »

Il me donna cette explication sans témoigner le moindre embarras, bien que ce fût notre première rencontre depuis la scène de Montagu-Square. À la vérité, il ignorait que j’en eusse été témoin ; mais d’un autre côté il savait que, par mes occupations dans la Société des petits vêtements et mes rapports avec toutes les associations charitables, je devais être instruite de la manière scandaleuse dont il avait abandonné ses comités et ses pauvres. Néanmoins, il était là devant moi, maître de sa charmante voix et de son irrésistible sourire ! c’était incompréhensible, vraiment !

« Avez-vous vu Rachel ? » lui demandai-je.

Il soupira et me prit la main ; je la lui eusse certes arrachée, si sa réponse ne m’avait paralysée d’étonnement.

« Oui, j’ai vu Rachel, dit-il avec le plus grand calme : vous aviez appris, ma pieuse amie, qu’elle s’était engagée à m’épouser ? Eh bien ! elle s’est décidée tout à coup à rompre sa promesse ; la réflexion lui a prouvé que son bonheur et le mien étaient intéressés à la rupture d’un engagement trop précipité ; elle me laisse donc libre de faire un choix plus heureux. C’est la seule raison qu’elle veuille me donner et l’unique réponse que je puisse obtenir à toutes mes questions.

— Qu’avez-vous fait de votre côté ? demandai-je ; vous êtes-vous soumis ?

— Oui, répondit-il avec la même tranquillité, je me suis soumis à son désir. »

Sa conduite dans cette occasion était si absolument inexplicable, que je restai stupéfaite et oubliai de retirer ma main qu’il tenait toujours dans la sienne. Dévisager quelqu’un est un manque d’usage qui devient une inconvenance quand ce quelqu’un est un homme. Je commis cette double faute et dis comme si je sortais d’un rêve :

« Que peut signifier tout cela ?

— Permettez-moi de vous le dire, répliqua M. Godfrey. Si nous nous asseyions ? »

Il me conduisit à une chaise ; j’ai une vague impression qu’il se montra bien affectueux, et je ne suis pas sûre qu’il ne m’ait pas soutenue en passant son bras autour de ma