Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/48

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Verinder. Sir John avait sa part — une part assez large peut-être — des faiblesses de l’humanité, celles du moins qui sont les plus innocentes et les plus aimables. J’en mentionnerai une parce qu’elle se rapporte directement au sujet qui nous occupe. Tant qu’il jouissait d’une bonne santé, il éprouvait une répugnance invincible à faire son testament. Lady Verinder usa de son influence pour réveiller en lui le sentiment du devoir qu’il avait à remplir, et j’y joignis mes exhortations. Il admettait la justesse de nos observations, mais en restait là, jusqu’à ce qu’il fût atteint de la maladie qui devait le conduire au tombeau. Alors enfin je fus mandé pour recevoir les instructions de mon client relativement à son testament ; elles furent les plus simples qui m’eussent jamais été données dans le cours de ma carrière d’homme de loi.

Sir John sommeillait lorsque j’entrai ; ma présence le ranima un peu.

« Comment vous portez-vous, monsieur Bruff ? dit-il ; je ne vous retiendrai pas très-longtemps sur le sujet qui vous amène ici ; puis je me rendormirai. »

Il me suivit des yeux avec intérêt pendant que je préparais plume et papier.

« Êtes-vous prêt ? » demanda-t-il.

Je m’inclinai, trempai ma plume et attendis mes instructions.

« Je laisse tout à ma femme ; voilà tout ! » dit-il ; puis il se retourna sur son oreiller et se mit en mesure de se rendormir.

Je fus obligé de le déranger.

« Dois-je entendre, demandai-je, que vous laissez la totalité de vos propriétés de toute nature entièrement à lady Verinder ?

— Oui, dit sir John ; seulement, moi, j’exprime cela en moins de mots ; pourquoi ne faites-vous pas de même et ne me laissez-vous pas dormir ? Tout à ma femme, c’est là mon testament. »

Il avait l’entière disposition de sa fortune qui se composait de biens-fonds et de valeurs mobilières. Dans la grande majorité des cas, je me fusse cru obligé de prier mon client de réfléchir de nouveau, mais dans la circonstance présente,