Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/80

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gue anglaise, » dit Betteredge, qui ferma le livre avec force et dégagea enfin une de ses mains pour prendre celle que je lui offrais.

Je m’étais attendu, tout naturellement, à ce que, dans les circonstances actuelles, il m’accablerait de questions. Mais non, le vieux serviteur ne songeait tout d’abord qu’à exercer l’hospitalité dès le moment où un membre de la famille arrivait dans la vieille demeure.

« Entrez, monsieur Franklin, » me dit-il.

Il ouvrit la porte qui était derrière lui et me fit une de ces révérences du temps passé, dont il gardait la tradition.

« Croyez bien, continua-t-il, que je vous demanderai ce qui vous amène ici ; mais il faut d’abord que je veille à votre confort. Quels tristes changements depuis que je ne vous ai vu ! la maison est fermée, les domestiques sont renvoyés ; mais peu importe, je ferai votre dîner, la femme du jardinier s’occupera de votre chambre, et s’il reste une bouteille de notre fameux bordeaux Latour dans la cave, c’est vous qui la boirez, monsieur Franklin. Je vous offre la bienvenue, monsieur, je vous l’offre de tout mon cœur. »

Pauvre vieux ! il faisait son possible pour réagir contre la tristesse de cette maison déserte, et me recevait avec la cordialité de l’ancien temps.

Il m’en coûtait de le désappointer. Mais la maison appartenait maintenant à Rachel. Pouvais-je y manger, y coucher, après ce qui s’était passé à Londres ? Le plus vulgaire sentiment de dignité personnelle me défendait d’en franchir le seuil.

Je pris Betteredge par le bras et l’emmenai dans le jardin, où je lui fis l’aveu pénible de la vérité. Entre son attachement pour Rachel et son affection pour moi, il était bien embarrassé ; la tournure que les choses avaient prise le désolait. Son opinion, quand il me la donna, fut exprimée comme toujours en termes nets et francs ; elle respirait la philosophie pratique qui lui était propre et que j’appellerai la philosophie de l’école Betteredge.

« Miss Rachel a ses défauts, je ne l’ai jamais nié, dit-il ; elle a entre autres celui de monter sur ses grands chevaux en mainte occasion. Elle a essayé d’en monter un vis-à-vis de vous, monsieur, Franklin, et vous l’avez prise au sérieux.