Page:Collins - La Pierre de lune, 1898, tome 2.djvu/9

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inconnues. Mais pourquoi n’êtes-vous pas au concert ? Vous avez fait là un sacrifice bien dur.

— Ne dites pas cela, Rachel ! si vous saviez seulement combien je suis heureux ici, et avec vous ! »

Il joignit les mains et la regarda. Dans la position qu’il occupait, il me faisait face ; je ne puis rendre le malaise que j’éprouvai en voyant sur sa figure exactement la même expression pathétique qui me charmait lorsque, sur la plateforme d’Exeter-Hall, il faisait appel à la charité en faveur de ses semblables malheureux !

« On a de la peine à se défaire de ses mauvaises habitudes, Godfrey ! Mais là, vrai, tâchez donc, pour me faire plaisir, d’abandonner celle de me faire des compliments.

— Je ne vous ai jamais fait de compliments, Rachel, de ma vie. Un amour heureux peut quelquefois parler le langage de la flatterie, mais une passion sans espoir, mon amie, ne dit que la vérité. »

Il approcha sa chaise, et en prononçant les mots : « une passion sans espoir, » il lui prit la main. Il y eut un moment de silence, et sans doute lui, qui pénétrait dans tous les cœurs, avait réussi à toucher le sien. Je commençai à comprendre les mots : « Je me déciderai aujourd’hui même. » Hélas, les esprits habitués aux convenances rigides ne pouvaient manquer de s’expliquer maintenant « ce qu’il ferait ! »

« Avez-vous oublié, Godfrey, nos conventions, lorsqu’à la campagne, vous vous êtes déclaré à moi ? Nous nous promîmes d’être cousins, mais rien de plus.

— Je manque à cet engagement, Rachel, chaque fois que je vous vois.

— Alors, ne me voyez pas !

— C’est parfaitement inutile ! car je manque également à ma promesse toutes les fois que je pense à vous. Oh ! Rachel, vous m’avez dit affectueusement, l’autre jour, que vous m’estimiez plus qu’auparavant ! Suis-je un fou de bâtir quelque espoir sur cette chère parole ? Me traiterez-vous d’extravagant parce que je rêve un jour lointain où vous sentirez quelque tendresse pour moi ? Ne me le dites pas, si cela est ! Laissez-moi mon illusion, ma chérie ! Il me la faut absolument pour me soutenir, me consoler. Je veux la garder si je ne puis jamais obtenir mieux ! »