Page:Collins - Le Secret.djvu/106

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tress Frankland, contre tous les deux, avait la même objection : elle n’avait ni dans l’un ni dans l’autre un médecin de sa connaissance, et il lui déplaisait souverainement d’être soignée par un étranger. En fin de compte, et c’était là sans nul doute ce qu’elle avait toujours espéré, le choix du nouvel établissement à former lui fut absolument laissé ; ce qu’ayant obtenu, elle décida immédiatement, à la grande surprise de son mari comme de tous leurs amis, qu’on partirait pour Porthgenna. Elle avait formé cet étrange projet ; elle l’exécutait maintenant, d’abord parce qu’elle était plus curieuse que jamais de revoir le théâtre de ses premiers jeux, ensuite parce que le médecin qui avait soigné mistress Treverton dans sa dernière maladie, et qui plus tard, dans toutes les petites infirmités de son jeune âge, l’avait eue elle-même sous sa direction, résidait encore à Porthgenna, et avait toute la clientèle des environs. Le capitaine Treverton et ce médecin se connaissaient d’ancienne date et, durant longues années, s’étaient retrouvés, chaque samedi soir, autour du même échiquier. Quand les événements dérangeaient cette intimité si régulière, ils l’entretenaient de loin, par des présents échangés entre eux, chaque année, à la Noël ; et, lorsque la nouvelle de la mort du capitaine était parvenue en Cornouailles, le docteur avait écrit à Rosamond une lettre de sympathique condoléance, où il lui parlait de son vieil ami en termes qu’elle n’avait pu oublier. Il devait être maintenant un de ces bons et paternels vieillards en qui les jeunes femmes aiment particulièrement à se confier. Bref, mistress Frankland avait justement en sa faveur le même énergique préjugé qui l’éloignait du médecin de Long-Beckley ; et, comme il arrive toujours aux jeunes mariées pourvues d’un époux qui les aime, elle avait fini, emportant la question, par faire à sa guise.

Le 1er mai, les appartements du pavillon occidental étaient prêts à recevoir le maître et la maîtresse du logis. Les lits avaient été aérés, les tapis battus, les sofas et les fauteuils dépouillés de leurs housses. La femme de charge avait revêtu sa robe de satin et s’était décorée de sa broche de grenats : elle marchait, suivie d’un peu loin par la fille de service, habillée de mérinos brun et pavoisée de rubans roses ; et l’intendant, qui ne voulait pas se laisser déborder par les recherches du beau sexe, avait arboré un gilet noir glacé, qui rivalisait presque de sombre éclat avec le satin de la femme de charge. La journée s’écroula, la soirée aussi ; l’heure vint où