Page:Collins - Le Secret.djvu/145

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impartialité, les doctrines républicaines, qu’au moment où, sur les pas du garçon d’hôtel, il gagnait, silencieux et sombre, l’appartement de M. Frankland.

« Qui est là ? demanda Léonard quand il entendit la porte s’ouvrir.

— M. Orridge, monsieur, dit le garçon.

— Bien le bonjour ! » ajouta M. Orridge, avec une certaine brusquerie familière, où perçait le désir de revendiquer les droits de la plus parfaite égalité.

M. Frankland était assis dans un fauteuil, et les jambes croisées l’une sur l’autre. M. Orridge eut soin de choisir un fauteuil tout pareil, et de s’y installer avec un sans-gêne parfaitement analogue à celui de M. Frankland. Les mains de ce dernier étaient fourrées dans les poches de sa robe de chambre ; M. Orridge, qui n’avait de poches que dans les pans de son habit, et n’y pouvait atteindre commodément, mit les pouces dans les entournures de son gilet, et protesta ainsi, de son mieux, contre l’insolente aisance des gens à coffre-fort. Il oubliait parfaitement (si petite est la portée d’un esprit préoccupé par les souffrances de la vanité blessée !), il oubliait que M. Frankland, privé de la vue, ne pouvait se douter ni de toutes ces manœuvres ni de l’indépendance morale qu’elles attestaient. La dignité de M. Orridge était sauvée aux yeux de M. Orridge, et cela lui suffisait.

« Je suis charmé, docteur, que vous soyez venu de si bonne heure, dit M. Frankland… Il est arrivé ici, hier soir, quelque chose de fort peu agréable… J’ai été obligé de renvoyer la nouvelle garde, et de la renvoyer à la minute.

— Ah ! vraiment ? dit M. Orridge, défiant le calme de M. Frankland par un semblant défensif de complète indifférence… Il a fallu la renvoyer ?… Ah ah !…

— Si j’avais eu le temps de vous envoyer chercher et de prendre votre avis, j’eusse été ravi de le faire, continua Léonard… Mais il n’y avait pas à hésiter… Nous avons tous été alarmés, à l’improviste, par plusieurs violents coups de sonnette, venus de la chambre de ma femme. Conduit auprès d’elle, je l’ai trouvée dans la plus grande agitation et le plus grand effroi… Elle me déclara que la nouvelle garde lui avait fait une horrible peur, ajoutant que, selon elle, cette femme avait perdu l’esprit, et me suppliant de l’en débarrasser le plus vite et avec le plus de douceur possible. En pareilles circonstances, que faire ? Vous pouvez me reprocher de n’avoir pas