Page:Collins - Le Secret.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute reconnaissance pour vos bontés passées, je vous demanderai la permission de ne pas toucher des gages que je n’ai pas gagnés… » Là-dessus une belle révérence, et la voilà partie. Voilà mot pour mot, monsieur Orridge, ce qui s’est passé entre nous. Expliquez, si vous le pouvez, la conduite de cette femme. Pour moi, je la déclare absolument incompréhensible, à moins de supposer qu’elle avait perdu la cervelle quand elle est rentrée ici, hier au soir. »

Après ce qu’il venait d’entendre, le docteur commençait à penser que les soupçons de mistress Frankland sur le compte de la nouvelle garde n’étaient pas tout à fait aussi dénués de fondement qu’il avait pu le croire tout d’abord. Néanmoins il s’abstint sagement de compliquer les choses en exprimant tout haut ses idées à ce sujet, et, après avoir répondu à mistress Norbury par quelques vagues formules de politesse, il essaya de calmer son ressentiment contre M. et mistress Frankland, en l’assurant qu’il apportait les excuses du mari et de la femme pour tout ce que les circonstances avaient jeté d’irrégulier et d’irrespectueux, en apparence, dans leur conduite vis-à-vis d’elle. La dame offensée, cependant, n’accueillit point les avances propitiatoires. Debout, et avec un geste de main tout à fait majestueux :

« Je ne puis, monsieur Orridge, entendre de vous à ce sujet un mot de plus ; je ne puis accepter aucune excuse indirectement présentée. Si M. Frankland prend la peine de venir ici, et si mistress Frankland a l’extrême condescendance de m’écrire, je consentirai peut-être à oublier ce qui s’est passé. En tout autre cas, je me permettrai de ne rien changer à mes opinions actuelles sur le compte de ce monsieur et de cette dame. N’ajoutez rien, je vous prie, et soyez assez bon pour m’excuser si je vous quitte : il faut que j’aille voir à la nursery comment va la petite. Je suis charmée que vous la trouviez en si bonne voie. Revenez, je vous prie, ou demain ou après-demain, si cela ne vous gêne pas trop… Bonjour, docteur ! »

À moitié diverti par l’originalité de sa cliente, à moitié blessé du ton un peu bref qu’elle avait cru pouvoir prendre vis-à-vis de lui, M. Orridge demeura pendant quelques minutes, seul dans la salle à manger, ne sachant trop ce qui lui restait à faire. Il se sentait maintenant presque aussi intéressé que mistress Frankland à percer le mystère qui entourait la conduite de mistress Jazeph ; par-dessus tout, il ne lui convenait pas de revenir à la Tête de Tigre, simplement pour répéter