— La première chose à faire, dit l’oncle Joseph avec un mouvement d’épaules bien marqué, c’est sûrement… de sonner.
— Oui ; mais quand on viendra ouvrir… que dirons-nous ?
— Ce que nous dirons ? répéta l’oncle Joseph, fronçant les sourcils d’un air presque féroce, tant les pensées lui venaient péniblement, et, de l’index, il se toquait le front juste au-dessous de son chapeau ; ce que nous dirons ?… Attendez, attendez… attendez… attendez !… Ah !… j’y suis… Je sais… Vivez en paix, chère Sarah… À partir du moment où la porte sera ouverte, c’est moi qui me charge de répondre au domestique.
— Ah ! combien me voilà rassurée !… Que lui direz-vous ?
— Ce que je lui dirai ?… Tout bonnement ceci : « Comment allez-vous ?… Nous sommes venus voir le château. »
Après avoir ainsi démasqué la batterie à l’aide de laquelle il comptait forcer l’entrée de Porthgenna-Tower, le candide vieillard étendit les deux bras, recula de quelques pas, et regarda sa nièce d’un air qui voulait dire : « N’est-ce pas bien trouvé ? » Sa physionomie, d’ailleurs, était celle d’un homme qui vient de résoudre, par une simple opération de l’esprit, un problème des plus ardus.
Sarah le regardait, elle aussi, profondément étonnée. La conviction absolue dont sa figure portait l’empreinte ébranlait tout ce qui lui restait, à elle, de doutes et d’inquiétude. Le plus misérable de tous les misérables prétextes qu’elle avait tour à tour inventés, discutés et rejetés, pendant la nuit précédente, à cette fin d’être admise dans le manoir, était d’une profondeur machiavélique, comparé à l’expédient puéril dont le bon oncle Joseph venait de suggérer l’emploi. Et pourtant il était là, devant elle, parfaitement sûr, en apparence, d’être tombé sur une espèce de talisman destiné à renverser tous les obstacles. Ne sachant trop que dire, et n’ayant pas en ses doutes eux-mêmes assez de confiance pour oser exprimer ouvertement soit une opinion, soit une autre, elle se réfugia dans le seul asile qu’elle vît ouvert à ses irrésolutions : elle voulut gagner du temps.
« Vous êtes bon, bien bon, mon cher oncle, de vouloir bien vous charger de cette difficile réponse qu’il faut faire au domestique, dit-elle ; et le découragement caché de son cœur se trahissait, malgré tous ses soins, dans sa voix affaiblie, dans ses regards attristés et perplexes. Vous plairait-il, néanmoins,