Page:Collins - Le Secret.djvu/232

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« Maintenant, reprit l’oncle Joseph, tout en marchant, je vais vous dire ce qui me contrarie si fort… Je suis fâché que nous ayons fait ce voyage, couru nos petits dangers, empoché notre petite semonce, le tout… pour rien. Le mot que vous m’avez dit à l’oreille, au moment où je vous faisais revenir à vous (et ceci eût été bien plus tôt fait, par parenthèse, si les stupides habitants de la maison-cachot eussent apporté l’eau plus vivement), ce mot n’était certes pas grand’chose. Mais il a suffi pour me prouver que notre voyage ici demeure sans résultat. Je puis m’en taire, je puis faire bonne mine à ce jeu, je puis me tenir discrètement pour satisfait de ce mystère dans lequel je marche les yeux bandés, et certes bien hermétiquement clos ; mais il n’en est pas moins avéré pour moi que la chose à laquelle vous attachiez, en partant, la plus grande importance, est aussi la chose que vous n’êtes point parvenue à obtenir. Je ne sais rien de plus, mais ceci, je le sais ; et je vous répète que nous avons fait là une mauvaise besogne… Il n’y a pas à s’en dédire… C’est bien cela, c’est bien ce qu’on entend par cette expression familière. »

Tandis qu’il achevait, à sa manière toujours un peu originale, cette profession de foi sympathique, la crainte, la méfiance, l’inquiétude, qui jusqu’alors avaient altéré la douceur naturelle des yeux de Sarah, firent place à une expression d’affectueuse mélancolie qui sembla leur rendre toute leur beauté.

« Ne vous affligez pas à cause de moi, cher oncle ! lui dit-elle, s’arrêtant, et, de la main, par un mouvement très-doux, enlevant quelques grains de poussière tombés sur le collet de son habit… J’ai tant souffert, et souffert si longtemps, que les désappointements les plus pénibles me sont devenus légers.

— Je ne veux pas vous entendre parler ainsi ! s’écria l’oncle Joseph ; ce sont pour moi des coups insupportables, que de semblables discours tenus par vous. Vous ne devez plus connaître de désappointements… non !… vous n’en aurez plus à subir, et c’est moi qui le dis, moi Buschmann, Joseph le Têtu, moi, Buschmann la Mule.

— Le jour où les désappointements auront cessé pour moi, ce jour-là, mon oncle, n’est pas loin de nous. Encore un peu de temps donné à l’attente, encore un peu de patience. Or j’ai appris à patienter et à espérer vainement. Craintes et revers, revers et craintes, telle a été ma vie depuis que je suis femme, et à cette vie je suis maintenant tout à fait accoutumée. Si vous êtes surpris, et vous devez l’être, de voir que je n’ai pas su