Page:Collins - Le Secret.djvu/272

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d’enfant, par quelque sculpteur ? ou bien un chérubin vivant, cadeau de votre femme ? » Elle se tourna, en riant, du côté de la nourrice : « Hannah, vous avez l’air si sérieux que vous devez être affamée. Vous a-t-on donné à souper ?… » La femme se prit à sourire, disant qu’elle descendrait aussitôt qu’un des domestiques serait libre de la venir relever de garde. « Allez tout de suite, répliqua Rosamond… je reste ici, et me charge de l’enfant… Allez souper, et revenez d’ici à une demi-heure. »

Lorsque la nourrice fut partie, Rosamond plaça près du bureau une chaise destinée à Léonard, et s’assit elle-même à ses pieds, sur un tabouret. Son inconstante humeur parut subir, à ce moment, une nouvelle métamorphose. Sa figure devint pensive, son regard s’adoucit, tandis qu’il se portait tantôt sur son époux, tantôt sur le lit où, à côté de lui, dormait l’enfant. Après une ou deux minutes de silence, elle prit une des mains de Léonard, la posa sur son genou, et appuyant sa joue sur cette main chérie :

« Lenny, lui dit-elle avec une certaine mélancolie… je ne suis pas bien sûre que personne, ici-bas, puisse goûter le bonheur dans toute sa perfection.

— Et qu’est-ce qui vous en fait douter, ma chérie ?

— C’est que je devrais être parfaitement heureuse, et cependant…

— Cependant… ?

— Cependant, si heureuse que je sois, il me semble que je ne dois jamais l’être absolument… Je le serais à l’heure présente, sans une toute petite chose… Vous devinez bien, sans doute, de quoi je veux parler.

— Peut-être : mais je voudrais l’entendre de votre bouche.

— Eh bien, depuis que cet enfant nous est né, mon ami, j’ai toujours eu au cœur une sorte de remords, surtout quand nous sommes à nous trois, comme maintenant ; un petit chagrin, que je ne puis chasser, et qui vous concerne.

— Qui me concerne ?… Levez la tête, Rosamond, et rapprochez-vous de moi… je sens quelque chose sur ma main, quelque chose qui me dit que vous pleurez. »

Elle se leva aussitôt, et posa sa joue tout contre celle de son mari.

« Mon bien cher, dit-elle, l’étreignant fortement de ses deux bras… l’ami de mon cœur… jamais vous n’avez vu notre enfant.

— Si, Rosamond, je le vois avec vos yeux.