Page:Collins - Le Secret.djvu/308

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leurs ?… Vous me disiez, pendant le voyage, que je trouverais cette résidence ennuyeuse… et que je serais obligée de recourir à mille expédients extraordinaires pour m’y procurer quelques distractions… Selon tous, je devais d’abord m’adonner au jardinage… et, plus tard, écrire un roman… Un roman ! » Elle se rapprocha de son mari, et ne le perdit pas de vue, pendant qu’elle continuait à lui parler… « Eh bien, pourquoi donc pas ?… Maintenant, ce sont surtout les femmes qui se livrent à ce genre de composition… Qui m’empêche d’essayer ?… La première difficulté, je suppose, est de trouver un sujet… Or, j’en ai un… » Elle fit quelques pas en avant, arriva jusqu’à la table sur laquelle la lettre était posée, et, la main sur ce papier, elle ne quittait pas des yeux la figure de son mari.

« Et quel est votre sujet, Rosamond ? demanda-t-il.

— Le voici, répondit-elle. Je veux que tout l’intérêt du récit se concentre sur deux jeunes gens, récemment mariés. Ils s’aimeront l’un l’autre, et très-tendrement, comme nous nous aimons, Lenny, et ils auront à peu près notre position sociale. Après quelque temps de la plus heureuse union, et lorsque la naissance d’un enfant sera venue resserrer encore les liens étroits de leur mutuelle affection, une découverte terrible éclatera sur eux comme la foudre. Le mari avait choisi pour femme une jeune fille portant un nom aussi ancien que…

— Que le vôtre, par exemple ? suggéra Léonard.

— Que celui de la famille Treverton, continua-t-elle, après une pause durant laquelle sa main agitée promenait çà et là, sur la table, la lettre mystérieuse. Le mari sera bien né… aussi bien né que vous l’êtes, Lenny… et la terrible découverte sera celle-ci : la femme n’a aucun droit au nom qu’elle portait quand il l’épousa.

— Eh bien, chère amour, je ne puis dire que votre idée me semble bonne. Votre histoire tendra un piége au lecteur, intéressé sans raison à une femme qui, après tout, se trouve n’être qu’une trompeuse…

— Oh, non ! interrompit vivement Rosamond… Cette femme est loyale !… cette femme ne s’est jamais abaissée jusqu’au mensonge. Cette femme, d’ailleurs pleine de défauts et fort éloignée de toute perfection, a du moins cela pour elle qu’elle a toujours parlé vrai, à tous risques et périls… Écoutez-moi jusqu’au bout, Lenny, avant d’asseoir votre jugement !… » Ici