Page:Collins - Le Secret.djvu/328

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moi, parce que j’aime Sarah, et que j’écris moi-même comme un vrai chat… Mais, dans la seconde, l’écriture n’est déjà plus si bonne ; elle tremblote un peu, elle crachote un peu… elle se recroqueville un peu, surtout aux dernières lignes. Dans la troisième, elle est encore pire… plus tremblotante, plus crachotante, plus recroquevillée… Dans la quatrième, où il y avait encore moins de peine à se donner, tous ces petits défauts sont encore plus marqués que dans les trois autres mises en bloc… Moi, qui vois ceci, je sais qu’elle était faible, fatiguée, épuisée en me quittant, et je me dis alors : « Elle est malade, bien qu’elle n’en veuille rien dire… Son écriture la trahit. »

Rosamond, regardant les lettres de nouveau, suivit en effet, ainsi que le vieillard les lui avait signalées, les altérations graduelles de l’écriture, ligne après ligne.

« Voilà donc ce que je me dis, reprit-il… et j’attends… je réfléchis un peu… et j’entends mon cœur qui, tout bas, me conseille : « Allez à Londres, oncle Joseph !… et, tandis qu’il en est encore temps, ramenez-la pour la soigner, la consoler, la guérir, à côté de vous, chez vous !… » Après quoi, j’attends encore, je réfléchis encore… non pas à cause de mes affaires qu’il me faudrait quitter un temps… je les quitterais bien pour toujours, plutôt que de laisser arriver mal à Sarah… mais sur les moyens à prendre pour la décider à s’en revenir avec moi… Cette pensée me fait relire les lettres. Dans les lettres je trouve toujours les mêmes questions sur mistress Frankland. Je vois, plus clair que le jour, que jamais je ne remmènerai ma nièce Sarah, si d’abord je ne puis la tranquilliser au sujet de mistress Frankland, dont elle semble redouter les questions, comme si la mort était au fond de chacune d’elles. Je vois cela… Ma pipe m’en tombe des lèvres… Je me trouve, je ne sais comment, hors de mon fauteuil… Mon chapeau vient, de lui-même, se poser sur ma tête… J’arrive en cette maison où, déjà une fois, je me suis fort indiscrètement introduit, et où, je le sais bien, je n’ai aucun droit de m’introduire encore. Une fois là, je tombe à vos pieds, vous demandant, par pitié pour ma nièce et par bonté pour moi, de ne pas me refuser les moyens de faire revenir Sarah. Si seulement je puis lui dire : « J’ai vu mistress Frankland… elle m’a, de sa bouche même, assuré qu’elle ne vous adresserait aucune de ces questions qui vous font si grand’peur… » Oui, si je puis lui dire ceci, Sarah ne refusera pas de s’en revenir avec moi,