Page:Collins - Le Secret.djvu/349

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à son mari quand elle l’eut rejoint ; aussi ai-je ramené l’enfant. Il n’est pas probable qu’il recommence à nous donner de l’embarras ; et, dans ce moment de pénible attente, les soins à lui prodiguer sont un véritable soulagement pour moi. »

La pendule placée sur la cheminée sonna sept heures et demie. Les voitures, dans la rue, se succédaient de plus en plus rapidement, remplies de gens en grande toilette, dîneurs en ville, habitués de l’Opéra. Les marchands de journaux colportaient à grand bruit, proclamant leurs nouvelles, la seconde édition des feuilles du soir. Sur le seuil des magasins, les malheureux qui, toute la journée durant, avaient, derrière le comptoir, servi la pratique, venaient aspirer quelques bouffées d’air frais. Les ouvriers rentraient par bandes dans leurs logis, traînant le pied et la tête basse. Maint oisif, sorti après le dîner, allumait son cigare au coin de la rue, et, jetant un regard indécis à droite et à gauche, semblait ne savoir où porter ses pas capricieux. On était enfin à ce moment de transition où cesse pour les rues la vie de jour, tandis que la vie de nuit n’a pas encore commencé ; et justement aussi, pour Rosamond, l’heure était venue où, après avoir vainement essayé de tromper les ennuis de l’attente en regardant au dehors, elle se sentait de plus en plus envahie par l’inquiétude de ses pensées intimes, lorsqu’elle fut brusquement ramenée au sentiment des choses extérieures par le bruit que la porte du salon fit en s’ouvrant. Elle quitta immédiatement des yeux l’enfant endormi sur ses genoux, et vit que l’oncle Joseph était enfin revenu.

Le vieillard entra sans rien dire, tenant à la main, tout ouverte, la formule de déclaration que, selon le désir de M. Frankland, il avait emportée avec lui. Comme il se rapprochait de la fenêtre où elle était assise, Rosamond remarqua que sa figure avait, en quelque sorte, étrangement vieilli pendant le petit nombre d’heures écoulées depuis son départ. Il vint près d’elle, et, toujours sans souffler mot, posa le doigt au bas du papier qu’il tenait ouvert devant les yeux de la jeune femme, de façon que celle-ci pût lire sans se lever de son fauteuil.

Ce silence obstiné, aussi bien que le changement de ses traits, frappa Rosamond d’une crainte soudaine qui la fit hésiter avant de lui adresser la parole.

« Lui avez-vous tout dit ? » demanda-t-elle enfin, après un moment. Cette question fut faite à voix basse. Rosamond n’avait pas seulement regardé le papier.