Page:Collins - Le Secret.djvu/364

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— Et les années qui ont suivi depuis lors, reprit le vieillard, ces années d’isolement, ces années passées parmi des étrangers, loin de l’enfant qui grandissait… sans une personne, pas même moi, dans le sein de qui elle pût épancher le récit de ses peines ! « Mieux valait, lui disais-je naguère, lorsque, ne pouvant plus parler, elle eut replacé sur l’oreiller sa tête détournée de moi, mieux valait mille fois, mon enfant, révéler ce Secret fatal… — Eh quoi ! me répondait-elle, le révéler au maître qui s’était confié à moi ? le révéler, plus tard, à l’enfant dont la naissance même était une honte pour moi ? Fallait-il donc que, des lèvres de sa mère même, elle apprît la faute maternelle ? Vous verrez, oncle Joseph, vous verrez ce qu’elle éprouvera quand vous la lui ferez connaître, vous ! Songez à la vie qu’elle a menée, à la haute position qu’elle a eue dans le monde. Comment pourra-t-elle me pardonner ? Comment, désormais, pourra-t-elle m’accorder un seul regard de tendresse ?…

— Vous ne l’avez pas quittée ainsi ? s’écria Rosamond avant de lui laisser dire un mot de plus… Oh ! non, vous ne l’avez pas quittée, bien certainement, sous le coup de cette pensée pénible ? »

L’oncle Joseph baissa la tête.

« Eh ! quelles paroles de moi pouvaient y changer quelque chose ? demanda-t-il d’un ton attristé.

— Lenny, vous entendez ?… Il faut que je vous laisse… vous et l’enfant… Il faut que j’aille vers elle… sans cela, ces derniers mots qu’elle a dits me briseraient le cœur… »

Tandis qu’elle parlait ainsi, des larmes jaillissaient de ses yeux, et, l’enfant dans ses bras, elle s’était déjà levée de son siége.

« Non… pas ce soir, dit l’oncle Joseph… Elle me l’a bien recommandé en partant. « Ce soir, disait-elle, je suis hors d’état de rien supporter… Donnez-moi jusqu’à demain pour retrouver quelques forces. »

— Alors retournez-y vous-même ! s’écria Rosamond… Pour l’amour de Dieu, partez sans retard !… faites en sorte qu’elle n’ait pas de moi cette fausse idée… Dites-lui comment j’ai prêté l’oreille à votre récit, mon enfant tout le temps endormi sur mon sein… Dites-lui… oh ! non, non… les paroles sont trop froides pour exprimer de tels sentiments… Approchez !… approchez, oncle Joseph (désormais je ne vous appellerai plus autrement)… Approchez par ici !… Embrassez mon enfant !…