Page:Collins - Le Secret.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas eu d’autres reliques venant de vous, Rosamond, que ce feuillet de votre premier cahier d’écriture… Votre bonne, à Porthgenna, s’était servie du reste, qu’elle déchirait au fur et à mesure pour allumer son feu. Un jour qu’elle n’avait pas l’œil sur moi, je pus m’emparer de ce dernier feuillet. Voyez !… vous n’en étiez pas encore à former vos lettres… rien que des barres et des liaisons… hélas ! que de fois je suis demeurée en contemplation devant ce méchant morceau de papier, et essayais de me figurer que je voyais votre petite main d’enfant voyager là-dessus, serrant, entre ses doigts aux bouts roses, la plume rebelle !… Je crois en vérité, chère adorée, que j’ai pleuré sur ce bout de papier, à lui seul, plus que sur tous mes autres gages de souvenir mis ensemble. »

Rosamond regarda du côté de la fenêtre, pour dissimuler les larmes qu’elle ne pouvait plus longtemps retenir.

Tandis qu’elle les essuyait à la dérobée, elle vit le ciel qui s’obscurcissait, et comprit que le crépuscule allait bientôt naître… Qu’elles étaient pâles et atténuées, les clartés du couchant !… Combien arrivait vite la chute du jour !

Quand elle se retourna du côté du lit, sa mère contemplait encore le feuillet qu’elle lui avait montré en dernier lieu.

« Cette bonne, qui allumait le feu avec vos cahiers d’écriture, continua-t-elle, se montra pour moi une véritable amie, en ces temps lointains où j’habitais Porthgenna. Elle permettait quelquefois que je vous misse au lit, Rosamond, et jamais ne me taquinait, jamais ne m’importunait de questions comme les autres gens… Sa bonté pour moi pouvait lui faire perdre sa place… Ma maîtresse avait toujours peur que je ne vinsse à trahir mon secret et le sien, si je hantais trop fréquemment la nursery ; elle avait donné des ordres pour qu’on m’empêchât d’y aller, attendu, disait-elle, que ce n’était point là ma place. Aucune autre femme de la maison n’était sous le coup d’une pareille consigne. Aucune autre ne trouvait autant de difficultés à vous embrasser, à jouer avec vous, qu’on en élevait pour moi !… Mais cette bonne, dont je vous parlais (Dieu l’aura bénie et protégée pour ceci), resta pourtant mon amie et ma complice… Bien souvent, alors que ma maîtresse me croyait dans ma chambre, clouée à mon ouvrage, je vous ai placée dans votre berceau, en vous souhaitant : « Bonne nuit. » Vous disiez bien que vous me préfériez votre bonne… mais jamais, cependant, vous ne vous fâchiez tout à fait contre moi… Jamais vous ne me refusiez, quand je vous