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Page:Colomb - Le violoneux de la Sapinière, 1893.djvu/203

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le violoneux de la sapinière.

sible ! tu ne feras pas une pareille chose ! Vous ne le laisserez pas faire, mademoiselle, ni vous là-bas, Véronique ?

— Il est d’âge à savoir ce qu’il veut, répondit Mlle Léonide. Véronique ne répondit pas.

— Mais, malheureux, tu deviens donc fou ? vociféra le maître de musique en prenant Ambroise par sa veste et en le secouant sans égard pour le violon d’Amati qu’il tenait encore. Mais tu ne sais donc pas ce que vaut ta vie, que te voilà prêt à la risquer comme si c’était la vie du premier maheutre venu ? Je te le dis, moi, tu as en toi l’étoffe d’un grand artiste ; tu peux devenir célèbre, tu le dois, et tu le deviendras ! Deux ans d’études sévères, et l’avenir est à toi ! l’avenir, le talent, la gloire, la fortune, tout ! N’as-tu donc jamais rêvé d’un théâtre, d’une foule attentive, émue, enivrée, t’écoutant sans oser respirer ; de ce murmure d’admiration qui monte jusqu’à l’artiste comme l’encens monte au ciel, de ces bravos, de ces applaudissements qui accueillent ses dernières notes ! de ces chuchotements dans la foule, partout où il passe, quand on se le montre en disant tout bas : C’est lui ! Tout cela sera à toi, entends-tu, à toi ! Laisse-là tes folles idées, et travaille ! »

Ambroise l’écoutait, la tête basse, tout frémissant. Il se sentait grandir, il aspirait à l’avenir que lui montrait le vieux maître… mais les yeux de Mlle Léonide, fixés sur lui, le gênaient. Elle s’en aperçut peut-être, car elle se leva et quitta la chambre. Véronique, elle, ne sortit pas. Elle resta immobile près de la fenêtre, calme en apparence. Ambroise fit un grand soupir, et répondit enfin :

« À quoi bon tarder ? Si je ne partais pas de bonne volonté, dans quelques jours peut-être il me faudrait partir de force.

— Non ! non ! je te sauverai, moi ! Je puis te faire passer à l’étranger ; j’ai des économies, je t’avancerai ce qu’il faudra pour aller à Londres, en Belgique, en Italie, où tu voudras : je te donnerai des lettres, on t’emploiera, tu pourras travailler, et tu seras sauvé.

— Non ! Et la France ! est-ce que je ne lui dois pas.

— Tu lui dois la vie, tu ne lui dois pas ta mort ! Qu’un paysan tombe, mille peuvent prendre sa place à la charrue : mais toi, la balle qui te frappera peut priver ton pays d’une gloire plus haute, plus durable que celle des batailles. Tu n’as pas le droit de le priver de cette gloire qu’il attend de toi ! Au nom de la France, au nom de ta patrie, je te somme de renoncer à ton projet. Crois-tu que Dieu t’ait accordé en vain le don sacré de l’art ? L’art ! qu’y a-t-il de plus grand et de