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HISTOIRES D’OURS

pouces. Il m’avait originairement coûté douze piastres, car les pièges étaient alors fort coûteux. Il m’avait été de bien bon service ; j’y avais pris plusieurs ours superbes. J’avais l’habitude de le tendre près du sentier qui conduisait aux fosses de la rivière Godbout. La dernière fois que je le tendis, un gros ours vint de suite s’y prendre ; comme le piège avait été muni d’une entrave, un gros morceau de bois attaché à la chaîne, l’ours l’avait trainé sur une bonne distance, de haut en bas, le long du bord de la rivière, mais n’avait pu se rendre loin dans le bois, attendu que l’entrave était toujours accrochée dans les arbres. Voyant qu’il ne pouvait se dégager du piège de cette façon, il tenta de traverser la rivière. Ce fut un malheureux mouvement pour nous deux. Le fort courant de la rivière l’emporta en eau profonde où le poids du piège le tint submergé. Il se noya, et je perdis mon piège à ours.

J’avais bien pensé d’après ses agissements, que c’était ça qui était arrivé, mais nous eûmes beau draguer et fouiller, nous ne trouvâmes rien.

Le printemps suivant, lorsque les hautes eaux se mirent à descendre, le piège fut emporté à quelque distance et alla s’échouer près de la pointe d’une île où les pêcheurs débarquaient d’ordinaire le saumon, et l’un des harponneurs l’y trouva ; la patte en décomposition de l’ours y était encore, mais le reste de la carcasse avait été emporté. Je racontai l’incident au vieil Indien.

— Maintenant, lui dis-je, je te vends au prix coûtant le piège le plus chanceux qu’il y ait au monde. Je lui en demandai douze piastres. Le vieux sauvage en était tout joyeux, et lorsqu’il me quitta, je lui renouvelai mes souhaits de bonne chance.

En arrivant à son terrain de chasse sur une branche de la rivière Manicouagan, le Sauvage tendit le piège.