Page:Commanville - Souvenirs sur Gustave Flaubert, 1895.djvu/91

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journée. Là, il est heureux de me lire toute fraîche éclose la phrase qu’il vient de terminer ; j’assiste, témoin immobile, à la lente création de ces pages si durement élaborées. Le soir, la même lampe nous éclaire ; moi, assise au bord de la large table, je m’occupe à quelque ouvrage d’aiguille, ou je lis ; lui se débat sous l’effort du travail ; tantôt penché en avant il écrit fiévreusement, se renverse en arrière, empoigne les deux bras de son fauteuil et pousse un gémissement, c’est par instants comme un râle. Mais tout à coup sa voix module doucement, s’enfle, éclate : il a trouvé l’expression cherchée, il se répète la phrase à lui-même. Alors il se lève vivement et parcourt à grands pas son cabinet, il scande les syllabes en marchant, il est content, c’est un moment de triomphe après un labeur épuisant.