Aller au contenu

Page:Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, tome 002, 1836.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considéré en lui-même, est aussi exact que l’arithmétique ; et cela même est de pure définition, puisque la probabilité de chaque chose y est regardée comme un nombre. Je conçois encore que ce calcul s’applique assez naturellement aux jeux de hasard, aux loteries, aux rentes viagères, aux assurances, etc, en un mot à toutes les questions où l’on peut faire une énumération exacte de divers cas qui sont, ou qu’on suppose également possibles. Il n’y a là rien qui ne soit conforme aux indications naturelles du bon sens. Mais ce qui répugne à l’esprit, c’est l’application de ce calcul aux choses de l’ordre moral. C’est, par exemple, de représenter par un nombre la véracité d’un témoin ; d’assimiler ainsi des hommes à autant de dés, dont chacun a plusieurs faces, les unes pour l’erreur, les autres pour la vérité ; de traiter de même d’autres qualités morales, et d’en faire autant de fractions numériques, qu’on soumet ensuite à un calcul souvent très long et très compliqué ; et d’oser, au bout de ces calculs, où les nombres ne répondent qu’à de telles hypothèses, tirer quelque conséquence qui puisse déterminer un homme sensé à porter un jugement dans une affaire criminelle, ou seulement à prendre une décision, ou à donner un conseil sur une chose de quelque importance. Voilà ce qui me paraît une sorte d’aberration de l’esprit, une fausse application de la science, et qui ne serait propre qu’à la discréditer. »

M. Poisson répond « que les premières règles du calcul des probabilités seulement sont presque évidentes, et que l’objet de ce calcul est de ramener, par des raisonnements certains, à ces cas simples, les cas les plus compliqués ; que le théorème de Jacques Bernouilli, qui paraît si simple et si naturel, est cependant fort difficile à démontrer[1], et que son illustre auteur y a employé vingt années de méditations ; que le calcul, loin d’altérer les premiers aperçus du bon sens, ne manque jamais de les confirmer quand ils sont exacts, et qu’il les rectifie toujours lorsqu’ils contenaient quelque illusion ; que dans des cas, même fort simples, le bon sens ne suffirait pas pour déterminer la probabilité des événements ; qu’au jeu de croix et pile, par exemple, il y a évidemment un contre un à parier pour l’arrivée de l’une ou l’autre des deux faces de la pièce dans une première épreuve, mais que dans deux épreuves consécutives, il y a plus d’un contre un parier pour la similitude des résultats, ce que le calcul seul peut nous apprendre ; et qu’enfin il répète-

  1. Traité élémentaire du Calcul des Probabilités de M. Lacroix, page 53