Page:Comte de Lautréamont - Poésies I.djvu/11

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peignit autrefois, avec amour, l’amant morbide de la Vénus hottentote, les douleurs invraisemblables que ce siècle s’est créées à lui-même, dans leur voulu monotone et dégoûtant, l’ont rendu poitrinaire. Larves absorbantes dans leurs engourdissements insupportables !

Allez, la musique.

Oui, bonnes gens, c’est moi qui vous ordonne de brûler, sur une pelle, rougie au feu, avec un peu de sucre jaune, le canard du doute, aux lèvres de vermouth, qui, répandant, dans une lutte mélancolique entre le bien et le mal, des larmes qui ne viennent pas du cœur, sans machine pneumatique, fait, partout, le vide universel. C’est ce que vous avez de mieux à faire.

Le désespoir, se nourrissant avec un parti pris, de ses fantasmagories, conduit imperturbablement le littérateur à l’abrogation en masse des lois divines et sociales, et à la méchanceté théorique et pratique. En un mot, fait prédominer le derrière humain dans les raisonnements. Allez, et passez-moi le mot ! L’on devient méchant, je le répète, et les yeux prennent la teinte des condamnés à mort. Je ne retirerai pas ce que j’avance. Je veux que ma poésie puisse être lue par une jeune fille de quatorze ans.

La vraie douleur est incompatible avec l’espoir. Pour si grande que soit cette douleur, l’espoir, de cent coudées, s’élève plus haut encore. Donc, laissez-moi tranquille avec les chercheurs. À bas, les pattes, à bas, chiennes cocasses, faiseurs d’embarras, poseurs ! Ce qui souffre, ce qui dissèque les mystères qui nous entourent, n’espère pas. La poésie qui discute les vérités nécessaires est moins belle que celle qui ne les discute pas. Indécisions à outrance, talent mal employé, perte du temps : rien ne sera plus facile à vérifier.

Chanter Adamastor, Jocelyn, Rocambole, c’est puéril. Ce n’est même que parce que l’auteur espère que le lecteur sous-entend qu’il pardonnera à ses héros fripons, qu’il se trahit lui-même et s’appuie sur le bien pour faire passer la description du mal. C’est au nom de ces mêmes vertus que Frank a méconnues, que nous voulons bien le supporter, ô saltimbanques des malaises incurables.

Ne faites pas comme ces explorateurs sans pudeur, magnifiques, à leurs yeux, de mélancolie, qui trouvent des choses inconnues dans leur esprit et dans leur corps !

La mélancolie et la tristesse sont déjà le commencement du doute ; le doute est le commencement du désespoir ; le désespoir est le commencement cruel des différents degrés de la méchanceté.