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ENTRE VOLTAIRE ET CONDORCET.

6° Ce que vous dites du chancelier d’Aguesseau est exagéré. Comment pouvez-vous louer ainsi un chancelier mort après 1750, et qui a laissé un manuscrit sur la divinité du Verbe ; qui n’a pas voulu détruire le droit d’aubaine, parce que c’était la loi la plus ancienne de la monarchie ; qui, en trente ans de ministère, n’a fait que trois ou quatre ordonnances sur des objets peu importants, et qui occasionnent plus de procès qu’elles n’en préviennent ; qui, après sa première disgrâce, s’est comporté avec la plus grande faiblesse ; un homme fort inférieur à son siècle, et dont tout le mérite est d’avoir eu une érudition prodigieuse ?

7° Vous dites que Montesquieu ressemble à Montaigne, et le chevalier de Chastellux à Charron. Je doute que le chevalier fût content de ce parallèle ; car Charron est oublié, et Montaigne ne le sera jamais. Ainsi, la publication de votre lettre serait désagréable pour vous ; elle soulèverait les admirateurs de Montesquieu, qui sont aussi vos admirateurs ; et connue un journal se répand beaucoup plus vite que tout autre ouvrage, le déchaînement serait très-grand. Cette publication serait désagréable pour l’auteur de La félicité publique, parce que si quelqu’un s’avisait d’attaquer son ouvrage, il en serait fort tourmenté ; elle nuirait à la bonne cause, parce que la canaille, qui se déchaîne contre Montesquieu et contre vous, triompherait de la division qui s’élèverait dans le camp des défenseurs de l’humanité.

Voilà, mon cher et illustre maître, ce que j’ai cru devoir vous écrire par amitié pour vous plus que par