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CORRESPONDANCE GÉNÉRALE.


13. AU ROI DE PRUSSE.


A Paris, ce 2 mai 1785.


Sire,

L’ouvrage que j’ai l’honneur de présenter à Votre Majesté [1] traite d’objets très-importants. J’ai cru qu’il pourrait être utile d’appliquer le calcul des probabilités à celle des décisions rendues à la pluralité des voix ; et comme j’ai toujours aimé presque également les mathématiques et la philosophie, je me suis trouvé heureux de pouvoir satisfaire deux passions à la fois.

Je n’ose désirer que Votre Majesté daigne jeter les yeux sur un discours, beaucoup trop long peut-être, où j’ai exposé les principes et les résultats de l’ouvrage, dégagés de tout l’appareil du calcul. Je prendrai seulement la liberté de lui parler de deux de ces résultats. L’un conduit à regarder la peine de mort comme absolument injuste, excepté dans les cas où la vie du coupable peut être dangereuse pour la société. Cette conclusion est la suite d’un principe que je crois rigoureusement vrai : c’est que toute possibilité d’erreur dans un jugement est une véritable injustice, toutes les fois qu’elle n’est pas la suite de la nature même des choses, et qu’elle a pour cause la volonté du législateur : or, comme on ne peut avoir une certitude absolue de ne pas condamner un innocent ; comme il est même très-probable que, dans une longue suite de jugements, un innocent sera

  1. Essai sur le calcul des probabilités.