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A SA FILLE.

Elle produit un sentiment de paix, une sorte de volupté douce, qui répand du charme sur toutes les occupations, et même sur la simple existence.

Prends de bonne heure l’habitude de la bienfaisance, mais d’une bienfaisance éclairée par la raison, dirigée parla justice.

Ne donne point pour te délivrer du spectacle de la misère ou de la douleur, mais pour te consoler par le plaisir de les avoir soulagées.

Ne te borne pas à donner de l’argent ; sache aussi donner tes soins, ton temps, tes lumières, et ces affections consolatrices souvent plus précieuses que des secours.

Alors ta bienfaisance ne sera plus bornée par ta fortune : elle en deviendra indépendante, elle sera pour toi une occupation comme une jouissance.

Apprends surtout à l’exercer avec cette délicatesse, avec ce respect pour le malheur, qui double le bienfait et ennoblit le bienfaiteur à ses propres yeux. N’oublie jamais que celui qui reçoit est par la nature l’égal de celui qui donne ; que tout secours qui entraîne de la dépendance n’est plus un don, mais un marché, et que, s’il humilie, il devient une offense.

Jouis des sentiments des personnes que tu aimeras : mais surtout jouis des tiens. Occupe-loi de leur bonheur, et le tien en sera la récompense. Cette espèce d’oubli de soi-même, dans toutes les affections tendres, en augmente la douceur et diminue les peines de la sensibilité. Si l’on y mêle de la personnalité, on est trop souvent mécontent des autres.