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de la nature

mune, non à sa propre raison, mais à la raison collective du plus grand nombre ; je dis à sa raison et non à sa volonté, car le pouvoir de la majorité sur la minorité ne doit pas être arbitraire ; il ne s’étend pas jusqu’à violer le droit d’un seul individu ; il ne va point jusqu’à obliger à la soumission lorsqu’il contredit évidemment la raison. Cette distinction n’est pas futile : une collection d’hommes peut et doit, aussi bien qu’un individu, distinguer ce qu’elle veut, ce qu’elle trouve raisonnable et juste.

Quand même une nation vaincue serait moins nombreuse que la nation conquérante, quand même une classe opprimée renfermerait moins d’individus que la classe opprimante, cette majorité n’aurait pas sans doute le droit de soumettre le reste à sa volonté arbitraire. On ne peut pas dire non plus que la soumission à la volonté de la majorité soit fondée sur la nécessité d’obéir ; car il ne faudrait céder alors qu’à une majorité assez forte pour exclure toute idée de résistance. Il n’y a aucune nécessité qui puisse forcer, par exemple, cent mille hommes à obéir à la volonté de cent cinquante mille.

La soumission au vœu de la majorité est donc fondée sur la nécessité d’avoir une règle commune d’action, et sur l’intérêt de préférer la règle commune, qui sera le plus souvent conforme à la raison et à l’intérêt de tous. Or, c’est ce que l’on trouve dans le vœu de la majorité, pourvu qu’elle se forme entre des hommes rigoureusement égaux en droits, et ayant en général les mêmes intérêts.

Alors, quoique chaque individu soit libre d’émettre