lon toute apparence, qu’un roman que les Européens avaient imaginé d’après les anciennes fables grecques.
Les hommes sont tellement nés pour l’erreur,
qu’une fable, une fois introduite, se reproduit sous
toutes les formes possibles : il semble qu’ils ne la
laissent échapper qu’à regret. Pour établir une république d’Amazones et la perpétuer, il faudrait un
système de législation si compliqué, que ce n’est
pas chez des sauvages que l’on pourrait trouver un
peuple de femmes.
Tel fut ce voyage où M. de la Condamine déploya, pendant dix ans, un courage d’autant plus rare, qu’il n’avait point de spectateurs ; que la crainte de l’opprobre ne le forçait pas d’être brave ; qu’il fallait affronter des dangers qui se présentaient sous une forme effrayante et nouvelle : il n’était pas même soutenu par l’idée d’une mort glorieuse ; il savait trop bien que les hommes ne jugent que par l’événement, et que sa mort, cachée dans des déserts, ne pourrait qu’attirer à sa mémoire le reproche d’une témérité insensée.
M. de la Condamine attendit à Cayenne un vaisseau de France, pendant cinq mois entiers : il ne lui restait plus rien à faire, et son courage l’abandonna : il avait résisté à dix ans de fatigues et de dangers ; il ne put résister à cinq mois de repos. Cette âme active, que l’espérance d’être utile et le plaisir d’agir avaient soutenue jusque-là, ne sentit plus que la douleur d’exister : il tomba dans cet état d’angoisse, où l’homme, éprouvant le besoin de sentir, interroge tout ce qui l’entoure, et où rien ne lui