se rendit aux invitations du roi d’Angleterre ; il lui
en coûta d’abandonner sa patrie, de renoncer au
titre, ou plutôt à la jouissance des droits de citoyen
libre ; d’arracher une jeune épouse qu’il aimait à sa
famille et à son pays : mais ce sacrifice était nécessaire ; il ne pouvait espérer à Berne d’assez grands
avantages pour assurer la fortune de ses enfants.
Son âge l’éloignait encore pour longtemps des places
qu’il pouvait se flatter d’obtenir dans le gouvernement :
il s’était aperçu qu’on se souvenait à Berne
du talent qu’il avait montré pour la poésie satirique ;
et quoiqu’il eût brûlé ses satires, ses ennemis et ses
rivaux ne les avaient pas oubliées. C’était assez qu’on
lui en connût le talent, pour qu’il inspirât de l’ombrage
dans une aristocratie, tant la satire est redoutée
dans ces constitutions, où la plus grande force
du gouvernement réside dans l’opinion que les citoyens
ont de sa sagesse ; où les chefs ne sont sûrs
de régner sans trouble, qu’autant qu’ils savent
cacher au peuple qu’ils sont ses maîtres, et lui persuader qu’ils ne sont que ses magistrats. D’ailleurs,
ces chefs, presque toujours assez sages pour affecter
une modestie qui assure leur puissance en la
rendant moins odieuse, distingués des citoyens par
leurs prérogatives, mais confondus avec eux dans la
vie privée, n’ont ni ces titres, ni cette pompe, ni
ces respects extérieurs, qui ne préservent pas les
grands des monarchies de sentir les traits du ridicule,
mais qui les empêchent d’en être humiliés.
M. de Haller voyait qu’en renonçant pour quelque temps à sa patrie, en acceptant un emploi qui assu-