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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 2.djvu/382

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ÉLOGE DE M. DE JUSSIEU.


des lacs immenses sur de petits bateaux de jonc, passer des torrents sur des ponts de corde de cent pieds de long ; ailleurs, de longues pièces de bois, appuyées sur les bords de la rivière, et sur des rochers placés au milieu et beaucoup plus bas que les rives, composaient un pont formé de deux plans inclinés très-rapides ; d’autres fois, le pont était fait de bateaux de jonc, recouverts par des fascines, et supportés par des câbles du même jonc, étendus d’un bord du torrent à l’autre. M. de Jussieu nous a laissé des dessins de ces ponts, monuments hardis de l’industrie d’un peuple ingénieux et sauvage.

Il fut obligé de gravir sur des rochers qui servent de retraite au reste des anciens habitants du pays, à qui on donne le nom de rebelles, parce qu’ils défendent leur indépendance naturelle, et qu’ils traitent en ennemis les Européens et leurs esclaves ; mais ils respectèrent M. de Jussieu, comme s’ils eussent senti que, ministre de paix et de lumière, occupé de chercher des remèdes à des maux communs à tous les hommes, il était le compatriote et l’ami de tous les peuples.

Il parcourut des déserts où la rigueur du froid a détruit toute végétation ; réduit à vivre de biscuit et de fromage sec ; abandonné et dépouillé par ses domestiques, peut-être ne dut-il la vie qu’à l’indulgence excessive avec laquelle on traite les voleurs au Pérou ; ils auraient eu tout à risquer et peu à gagner, en se débarrassant, par un crime de plus, d’un dénonciateur et d’un témoin : enfin, seul au milieu de ces déserts, il perd subitement la vue : cet