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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 2.djvu/410

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ÉLOGE DE M. LE COMTE D’ARCI.

Dans un voyage qu’il fit en Irlande en 1767, un de ses oncles lui offrit une fortune considérable s’il voulait s’y établir ; il la refusa, ne voulant pas habiter dans un pays libre en apparence, mais que, par des formalités tyranniques, l’Angleterre tenait sous le joug, dans un pays où il fallait vivre privé des droits de citoyen, si on ne voulait les acheter par un parjure. Il passa à Londres dans le même voyage : les Anglais le traitèrent comme un homme qui faisait honneur à la nation britannique, et qui, par son refus même de rester sous leur domination, avait acquis un nouveau titre à leur estime : son nom cependant ne fut point inscrit dans la liste de la Société royale, la loi l’avait proscrit ; mais l’estime publique et la générosité de la nation anglaise protégeaient sa personne contre les attentats de la loi. Ainsi, chez ce peuple si orgueilleux de sa liberté et de sa législation, il existe aussi des lois auxquelles la raison et l’honneur défendent d’obéir.

La mort a frappé M, d’Arci précisément dans l’instant où la nation irlandaise allait reprendre, par son courage, une liberté que ses divisions et le fanatisme lui avaient fait perdre : il aurait vu les ministres d’Angleterre forcés de reconnaître des droits qui appartiennent aux Irlandais, comme hommes plutôt encore que comme citoyens, et dont la justice ne permet pas à une nation de priver un peuple sur lequel elle croit avoir le droit de régner : il aurait vu la conduite ferme et modérée de ses compatriotes, forcer la nation anglaise à entendre assez bien les intérêts de sa puissance et de son bonheur.