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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 2.djvu/640

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ÉLOGE DE M. DUHAMEL.


comme inutile toute théorie qu’ils ne sont pas en état d’entendre.

M. Duhamel fit établir une école pour les constructeurs, et par ce moyen il les sépara pour jamais de la classe des simples ouvriers : les artistes célèbres en ce genre que la France a eus, ont été formés par lui et d’après ses principes ; et si dans cet art important les nations étrangères ne nous accordent pas une supériorité dont l’orgueil national convient si rarement, du moins presque toutes nous traitent comme les généraux de la flotte grecque traitèrent Thémistocle ; elles nous placent au second rang, et ne préfèrent à la construction française que la méthode qu’elles ont adoptée.

Il perfectionna aussi l’art de la corderie ; il prouva qu’en tordant moins les câbles on avait des cordages aussi forts, plus durables, moins pesants, qui exigeaient et moins de matière et moins de main-d’œuvre : cette correction très-simple que l’expérience lui fit découvrir, réunit tous ces avantages qui semblaient au premier coup d’œil devoir se combattre et s’exclure.

Dans tous les genres, ceux qui se livrent à la pratique ont pour la théorie une aversion qu’il ne faut pas attribuer à leur ignorance, et moins encore à l’inutilité de la théorie ; mais ils voient avec un sentiment douloureux cette espèce de supériorité qu’elle donne, et qui blesse d’autant plus qu’elle semble tenir à une supériorité personnelle. Si la pratique a été accompagnée des dangers qui l’ennoblissent, et de la gloire qui est la juste récompense du courage,