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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/92

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ÉLOGE DE M. D’ALEMBERT.


pour se réserver le droit de les décider suivant leurs vues personnelles ou leur caprice.

Mais ce danger est peut-être moindre que celui d’une philosophie plus tranchante, qui érigerait en vérités certaines ses opinions et ses préjugés : après tout, ceux qu’on refuse de croire n’ont pas à se plaindre lorsqu’on se borne à être difficile sur les preuves ; et quand on est bien sûr d’avoir trouvé la vérité, on ne peut se fâcher contre ceux qui nous disent : Prouvez, et nous vous croirons.

Aussi le tort de M. D’Alembert se réduit-il à n’avoir pas voulu quelquefois examiner ces preuves qu’on lui disait certaines, ou approfondir ces questions qu’il regardait comme insolubles ; et ce tort est bien léger, si l’on songe combien de fois il avait été trompé par de fausses promesses.

Les philosophes qui, sur les opinions spéculatives, se renferment dans le doute presque absolu, ont, par une conséquence nécessaire, des opinions pratiques très-modérées.

M. D’Alembert croyait, comme Fontenelle, que l’homme sage n’est pas obligé de sacrifier son repos à l’espérance incertaine d’être utile ; qu’il doit la vérité aux hommes, mais avec les ménagements nécessaires pour ne point avertir ceux qu’elle blesse de se soulever et de se réunir contre elle ; que souvent, au lieu d’attaquer de front des préjugés dangereux, il vaut mieux élever à côté d’eux les vérités, dont la fausseté de ces opinions est une conséquence facile à déduire ; qu’au lieu de porter à l’erreur des coups directs, il suffit d’accoutumer peu à peu les hommes