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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 5.djvu/363

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s’il est utile aux hommes d’être trompés ?

moins d’avantages des services de l’opprimé, qu’il n’en résultera pour lui de gêne pour assujettir à la dépendance cet être éclairé sur ses intérêts, et occupé de les faire valoir contre son oppresseur. Pour que l’oppression puisse être utile à l’oppresseur, il faut que l’opprimé soit livré à la superstition ou privé de la raison : c’est pour cela que la soumission imbécile de certains peuples était très-commode pour leurs prêtres, et que la servitude des bêtes de somme est fort utile aux hommes. Ainsi, non-seulement le bien total de la société est encore que le fort et le faible, la classe puissante et la classe abattue, la nation forte et le peuple faible, soient également éclairés ; mais c’est aussi l’intérêt du plus fort. En effet, les erreurs nécessaires pour maintenir, dans une oppression tranquille, un peuple ou une classe esclave, sont contagieuses ; ce mélange de vérités connues par une partie de la nation, et d’erreurs adoptées par l’autre, ne saurait durer : ou le peuple esclave s’éclairerait, ou le peuple maître s’abrutirait avec lui, où il s’élèverait entre eux des troubles plus fâcheux pour la classe opprimante, que la servitude de l’autre classe ne lui serait utile, ou, enfin, les deux classes deviendraient également la proie de quelques tyrans.

Il est sans doute inutile d’avertir que nous avons dû supposer que la classe opprimante est la plus nombreuse, ou du moins qu’elle est très-nombreuse ; c’est-à-dire, que sa force réelle surpasse ou du moins balance la force réelle de làa classe opprimée. Au delà de ce terme, l’intérêt de cette classe dominante ne