Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/399

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la pauvreté ou l’ignorance, quand ils ne le sont plus par la loi ; s’ils ne peuvent exercer qu’au hasard, et sous le joug d’une influence étrangère, les droits que la loi a reconnus ; si une égalité réelle ne s’unit pas à l’égalité politique, alors le but de la société n’est plus rempli.

L’homme libre qui se conduit par lui-même a plus besoin de lumières que l’esclave qui s’abandonne à la conduite d’autrui ; celui qui se choisit ses guides, que celui à qui le hasard doit les donner. Épuisez toutes les combinaisons possibles pour assurer la liberté ; si elles n’embrassent pas un moyen d’éclairer la masse des citoyens, tous vos efforts seront inutiles. L’instant de ce passage est le seul qui offre des difficultés réelles. Les hommes de génie qui aiment mieux éclairer leurs semblables que les gouverner, qui ne veulent commander qu’au nom de la vérité, qui sentent que plus les hommes seront instruits plus ils auront sur eux de pouvoir, qui ne craignent pas d’avoir des supérieurs, et se plaisent à être jugés par leurs égaux ; ces hommes ne peuvent être que très rares, et ceux que l’élévation de leur âme, la pureté de leurs vues, l’étendue de leur esprit placent à côté d’eux sont encore en petit nombre. Tous les autres, que veulent-ils ? Maintenir l’ignorance du peuple, pour le maîtriser tantôt au nom des préjugés anciens, tantôt en appelant à leur secours des erreurs nouvelles. Mais ce n’est pas ici le lieu de démasquer cette coupable hypocrisie, ces ruses des Pisistrate et des Denis qui conduisent le peuple à l’esclavage, tantôt en excitant ses passions, tantôt