Page:Condorcet - Seconde lettre de M. de Condorcet, à M. le comte Mathieu de Montmorency, député du bailliage de Montfort-l'Amaury.pdf/9

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En effet, quelle autre différence peut-on raiſonnablement établir entre les Membres d’un Conſeil peu nombreux, & ceux d’une Aſſemblée de Repréſentans ? Celle d’intérêt ? Mais l’intérêt de tous les Membres de la Nation n’est-il pas le même aux yeux de tous les hommes vraiement éclairés ? Et ſi cette vérité n’eſt pas encore aſſez reconnue, faut-il en retarder le progrès en établiſſant dans le Corps National une diſtinction qui conſacre cette ſuppoſition imaginaire d’intérêts oppoſés entre les diverſes claſſes de Citoyens ?

On a propoſé d’exiger dix mille livres de rente pour être Membre du Sénat. C’est ſubſtituer une Ariſtocratie de riches, à une Ariſtocratie héréditaire, & ſi la ſeconde eſt plus humiliante pour les gens aiſés qui ne ſont pas nobles, la première l’eſt encore plus pour la partie pauvre du Peuple. Ce ſeroit en quelque ſorte établir en principe, ce qui, par la vénalité de la Nobleſſe, n’étoit dans l’ordre ancien qu’un abus toléré. D’ailleurs l’eſprit de l’Aſſemblée celui d’une bonne légiſlation eſt de tendre à l’égalité des fortunés ; or il doit réſulter de cet eſprit que les fortunes de