Page:Conférences de l'Académie royale de peinture et de sculpture.pdf/160

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dents qui aient précédé, afin de faire comprendre le sujet qu’il expose, sans quoi ceux qui verroient son ouvrage ne seroient pas mieux instruits que si cet historien, au lieu de raconter tout le sujet de son histoire, se contentoit d’en dire seulement la fin.

Que c’est pour cela que M. Poussin, voulant montrer comment la manne fut envoyée aux Israélites, a cru qu’il ne suffisoit pas de la représenter répandue à terre, où des hommes et des femmes la recueillent ; mais qu’il falloit, pour marquer la grandeur de ce miracle, faire voir en même temps l’état où le peuple juif étoit alors : qu’il le représente dans un lieu désert, les uns dans une langueur, les autres empressés à recueillir cette nourriture, et d’autres encore à remercier Dieu de ses bienfaits ; ces différents états et ces diverses actions lui tenant lieu de discours et de paroles pour faire entendre sa pensée, et puis que la peinture n’a point d’autre langage ni d’autres caractères que ces sortes d’expressions ; c’est ce qui l’a obligé de représenter cette manne tombant du ciel, parce qu’il ne peut autrement faire connoître que c’est d’où elle vient. Car si on ne la voyoit tomber d’en haut, et que ces hommes et ces femmes la ramassassent seulement à terre, on la pourroit prendre pour une graine ou pour quelque fruit ; et ainsi cette circonstance par laquelle il marque que c’est une viande envoyée du ciel ne paroîtroit point dans son ouvrage.

Qu’il est vrai que le peuple avoit déjà reçu une nourriture des cailles qui étoient tombées dans le camp. Mais comme il ne s’étoit passé qu’une nuit, on peut dire qu’elles n’avoient pu donner si promptement une santé parfaite aux plus abattus ; et qu’ainsi il n’est pas sans apparence que cette vieille femme qui tète n’eût besoin de ce charitable secours. Car quoique dès le jour précédent Dieu eût promis au peuple, par son prophète, de lui donner de la viande le soir et du pain tous les matins ; toutefois, comme ce peuple étoit en grand nombre et répandu dans une ample étendue de pays, il n’est pas hors d’apparence qu’il n’y en eût plusieurs qui n’eussent pas encore appris la promesse qui leur avoit été faite ; ou même que la sachant et en ayant déjà ressenti les effets le soir d’auparavant, quelques-uns n’ajoutassent pas foi aux promesses de Moïse, puisqu’ils étoient naturellement fort incrédules.